Enfance

Extrait d’un entretien avec Marie-Laure Desjardins

Réfléchir au merveilleux était une proposition inattendue, donc impossible à refuser. Alors que Gallimard vient de publier son nouvel ouvrage, Mythanalyse de la couleur, le philosophe, sociologue et artiste Hervé Fischer a donc engagé sa pensée sur de merveilleux chemins de traverse où l’on croise tant Cendrillon qu’Aladin ou des cyborgs !

Quand j’étais enfant, je ne pensais jamais à quelque chose comme le merveilleux. J’avais bien vu des images de fées, de sorcières, d’ogres, du chat botté, du marsupilami, de Blanche Neige, dans quelques albums ; mais c’était pour moi des racontars sans intérêt, des illusions qui ne m’intéressaient aucunement. Ce à quoi je croyais, c’était l’effroi que je ressentais la nuit, la peur des voleurs surtout, qui venaient en se cachant derrière les arbres jusqu’au poulailler sous l’escalier, à côté de ma petite chambre dans la maison de banlieue parisienne de mes parents, où je dormais seul au du rez-de-chaussée. La nuit, je guettais par la fenêtre, en me cachant sur le bord pour ne pas être vu, les ombres, qui avançaient depuis les groseillers près de la rue, progressaient à travers les rangées de vieux pommiers et poiriers fantomatiques jusqu’à la maison. Les chapardeurs prenaient aussi du bois de chauffage. Une fois, ils avaient volé deux poules et ma petite bicyclette. Je ne m’endormais vraiment qu’au petit matin lorsque j’entendais les pas de mon père qui descendait l’escalier pour préparer son petit-déjeuner.

Seule la lumière du jour était rassurante et vraie. Mais ce que vous appelez le « merveilleux » n’était que fausseté dans mon esprit et je n’y pensais jamais. C’était la guerre et l’après-guerre. J’étais d’ailleurs sans doute un bien mauvais petit garçon, très désobéissant, car une fois, à Noël, je n’ai trouvé qu’un petit fouet dans ma chaussure devant la cheminée de la chambre de mes parents. J’en ai gardé une mémoire visuelle très précise. Je me souviens aussi d’avoir pleuré avec ma mère lorsqu’elle s’est aperçu en allant faire les courses au marché de Bourg-La-Reine, marchant à côté de la poussette, qu’elle avait perdu sa feuille de bons d’alimentation. Qu’allait-on faire ? À l’âge adulte, c’est pour me libérer de ces effrois de l’imaginaire que je me suis mis en quête de ce que j’ai appelé la mythanalyse.

Ref : Revue Smaris Elaphus n°1 (ArtsHebdoMedias – Corridor Elephant – TK-21)

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