Extrait : Entretien avec Sophie Duplaix, commissaire de l’exposition au Centre Pompidou
(après la question sur la Pharmacie Fischer)
Réf : catalogue exposition au Centre Pompidou (p 13-14)
Il s’agit en effet d’une autre performance. Le Bureau d’identité imaginaire est une idée qui m’est venue également à partir de mon usage sériel des tampons en caoutchouc, symboles de la bureaucratie, mais aussi à partir du constat que chacun rêve sa vie, ou se fait des illusions sur sa vie, ou voudrait être quelqu’un d’autre, ou se demande « Qui suis-je ? ». Dans ce dialogue, qui est parallèle à celui de la pharmacie, je pose des questions aux personnes qui viennent faire leur carte d’identité imaginaire : « Qui pensez-vous être ? » et « Qui voudriez-vous être ? ». Cette démarche, très étonnamment aussi, capte l’attention des gens, parce qu’il s’agit de questions fondamentales. Chacun a le sentiment qu’il voudrait réussir sa vie et donc il imagine une vie différente, se questionne sur sa propre vie. Beaucoup voudraient changer d’existence, d’identité. J’ai moi-même émigré de France pour aller vivre au Québec, et donc changé de scenario sociologique de vie. C’était une décision personnelle complexe, mais qui s’inscrivait plus radicalement dans ma démarche d’art sociologique, dans mon interrogation sur les sociétés.
Quand je suis arrivé au Québec au début des années 1980 – j’y vis depuis maintenant trente-cinq ans -, j’ai voulu comprendre qui étaient les Québécois, alors que j’allais devenir l’un d’entre eux. Je suis donc allé voir le journal La Presse, qui est le plus grand journal francophone québécois, pour lui demander de publier une grande page vide divisée en deux parties avec ces deux questions : Qui pensez-vous être ? et Qui voudriez-vous être ? A la grande surprise de tous, j’ai eu plus de 8000 réponses. A l’époque, il n’y avait pas internet et les gens ont envoyé leurs réponses au journal par la poste. Ils écrivaient, faisaient des petits dessins. C’était pour chacun d’eux un engagement fort. J’en ai fait un livre collectif intitulé L’oiseau Chat, parce que c’étaient les deux animaux les plus mentionnés : « je voudrais être un chat », « je voudrais être un oiseau ». En hiver, le chat est près de la cheminée, au chaud, il est casanier. Et l’oiseau est le symbole estival de la liberté, du voyage. C’est une identité imaginaire paradoxale que j’ai donc concrètement mise en évidence à travers ces questionnements très individuels des imaginaires collectifs. Ce sont ces questions-là qui m’intéressent et qui sont sociologiques.