L’hygiène de l’art engagée en 1971 visait à me – nous – débarrasser du bazar culturel récent que d’autres ont appelé le supplément d’âme, le musée imaginaire, qui nous collait à l’esprit et qui nous empêche de voir, d’entendre, de penser, de sentir librement. Bien entendu, même en faisant table rase, nous ne pouvions redevenir de bons (ou de méchants) sauvages et produire de l’art naïf. Nous sommes dans l’histoire. L’hygiène de l’artiste, les essuie-mains de la peinture, après la déchirure des œuvres d’art comme pédagogie, visaient à questionner la fonction sociologique, politique, marchande de l’art, avec les moyens de l’art lui-même. Dire la vérité sur l’art de façon interrogative-critique.
Réf : texte imprimé sur un panneau réalisé pour l’exposition du Centre Pompidou (2017)
Contexte
Les années 1960-1970 ont connu une grande effervescence artistique. Les libertés se réclamant de Marcel Duchamp, de Dada et de Fluxus nous aidaient à prendre conscience de l’excès de saturations idéologiques, des faux-semblants et des abus symboliques de l’art dans son fonctionnement politique et esthétique. Cette situation, sous le regard démystificateur de la sociologie de l’art que j’enseignais à l’Université Paris V – alors que j’étais plongé dans la lecture de Pierre Francastel, des sociologues marxistes, des textes situationnistes dénonçant la société du spectacle au lendemain de Mai 68 – m’imposa une exigence de lucidité et de mise à nu des pratiques de l’art. Je l’ai appelé Hygiène de l’art ; Pierre Restany m’a soutenu dans cette idée, me faisant découvrir l’hygiène de la vision de Martial Raysse. Par la suite, j’ai fait le lien avec des démarches antérieures d’artistes tel que Monet recherchant une perception du monde originelle, antérieure à la culture. Mais ce n’était pas ma posture, sachant comme sociologue que toute image, toute perception de la nature et de soi-même sont formatées et construites dans une culture. Par cette remise à nu, je ne cherchais donc pas une pureté brute de l’art, mais une remise en question des clichés et des fonctionnements dominants de l’art dans notre société, donc une libération créatrice. Je ne doutais pas que l’artiste fût capable de créer un autre monde, alternatif de celui que nous subissions, plus juste et plus lucide. Mais il fallait commencer par la libération politique et esthétique.
Un certain radicalisme et l’exemple de mes amis qui s’exprimaient avec l’extrémisme de l’art corporel – notamment Gina Pane et Michel Journiac, soutenus par François Pluchart, critique d’art du journal Combat puis éditeur de la revue Artitudes, qui m’encourageait aussi dans ma démarche – m’incitèrent à élargir ma pratique à l’artiste lui-même, que j’emballais dans des sacs hygiéniques de vinyle transparent. Plus encore que l’hygiène de l’art, je pratiquais donc ainsi l’hygiène de l’artiste.
Réf : Catalogue Céret (p27)