Extrait : Entretien avec Sophie Duplaix, commissaire de l’exposition au Centre Pompidou
Réf : catalogue exposition au Centre Pompidou (P 9-10)
SD : La première partie de l’exposition est davantage dédiée aux années 1970, les années de naissance de la terminologie « art sociologique ». Une première notion y est déclinée, l' »hygiène de l’art ». Que recouvre-t-elle ?
HF : C’est un terme qui peut paraître un peu trivial, ou provocateur. L’idée, dans ma vie personnelle, était très simple. Je ne suis pas allé dans une école des Beaux-arts. J’ai appris à dessiner et à peindre dans les cours du jeudi matin chez un peintre de ma banlieue parisienne. Et à un moment, je me suis rendu compte que ma peinture et mes dessins étaient des lieux communs, c’est-à-dire qu’en fonction de ce que je connaissais sur l’art ou de mes visites dans les musées, j’essayais d’imiter à mon tour des modèles. Une démarche, donc, sans grand intérêt. Puis j’ai visité les expositions d’avant-garde. Il faut rappeler que dans les années 1970, il y avait un mouvement avant-gardiste extrêmement fort : tous les artistes essayaient d’inventer quelque chose. J’ai alors pris conscience de la nullité de ce que je faisais comme peintre du dimanche. J’ai déchiré tout ce que j’avais réalisé pendant quelques années et j’ai voulu aussi aller au delà de ce geste privé. J’ai proposé à 300 ou 400 artistes que je connaissais de m’envoyer une œuvre à déchirer pour exprimer publiquement cette conscience des valeurs ordinaires de l’art.
Au fond, c’était la table rase d’un artiste qui essayait de se désengager de tout ce qui s’était fait, de tout ce qui était ou avait été à la mode, pour se confronter à la société avec un nouveau regard. Autrefois, avec les impressionnistes, c’était un nouveau regard sur la nature. Quand les impressionnistes sortaient des ateliers et allaient peindre en plein air, c’était une hygiène de l’art : retrouver la nature telle qu’elle apparaissait, en dehors des académismes. Pour moi, c’était un acte de libération. En invitant les artistes à faire la même chose, j’ai été très surpris de constater que 300 ou 400 d’entre eux, dont beaucoup sur le marché de l’art, et qui vendaient très cher, ont joué le jeu. J’ai donc mis dans des sachets hygiéniques en plastique transparent les débris des œuvres reçues pour être détruites et je les ai exposés.
Autrement dit, j’ai fait de ma propre démarche un geste collectif. Dans la notion d’art sociologique, il y a toujours la notion de dépasser le travail individuel et de prendre conscience de la dimension sociale de ce que l’on pense, de ce que l’on ressent, voire de travailler collectivement.