Extrait : Entretien avec Sophie Duplaix, commissaire de l’exposition au Centre Pompidou
Réf : catalogue exposition au Centre Pompidou (p 12-13)
Sophie Duplaix : La partie de votre travail que vous intitulez La Pharmacie Fischer s’inscrit-elle dans l’hygiène de l’art ?
Hervé Fischer
Oui en ce sens que j’ai toujours essayé de travailler avec des médias ordinaires – un essuie-mains, une signalisation routière, un tampon en caoutchouc. Et la boîte de pilules représente pour moi un objet qui n’est pas artistique, qui est trivial. Mais, avec la Pharmacie, on bâtit sur la table rase de l’hygiène de l’art pour explorer l’imaginaire social. Nous avons tous des problèmes ! Et l’on sait qu’en France les pharmacies sont, en dehors des cafés du coin, le commerce le plus développé. La quantité de pilules que les gens prennent augmente énormément, les statistiques le prouvent. J’ai donc « ouvert » ma pharmacie : je suis assis en face du patient qui vient me voir et je lui demande quels sont ses problèmes. Au terme de cet échange, je lui fais une prescription et lui donne une boîte de pilules. Ce qui est étonnant, c’est que dans cette performance, que j’ai faite à de nombreuses reprises et dans de nombreux pays – sur la place de la cathédrale à Milan, sur la place de la République à Sao Paulo, dans des villages aussi bien que dans des endroits plus intimes -, les gens se livrent, les gens parlent, tellement ils ont besoin de dire leurs difficultés. A ce moment-là, pour éviter de passer pour un charlatan ou un chaman, j’introduis la liberté d’esprit. Et le rapport au social. Par exemple, j’aime bien donner des pilules interrogatives, des pilules pour devenir riche ou pour le bonheur, ou encore des pilules pour ralentir le temps, ou simplement des pilules pour penser, car on n’a plus le temps de penser. Certes les pilules pour penser peuvent devenir toxiques, parce que, quand on pense, on découvre qu’on a encore plus de problèmes ! Mais disons que la Pharmacie instaure un dialogue interindividuel. Et je dois souligner ici un aspect important : l’art sociologique semble être un art collectif, qui parle de tout le monde, qui questionne la société. Mais en fait, l’artiste lui-même est en jeu et et le paradoxe est que, dans les démarches que j’ai faites avec des collectifs, avec la foule, avec du monde inconnu dans différentes cultures – en somme, sur des planètes différentes ! -, je me suis constamment confronté à moi-même à travers les réponses des autres. C’est une démarche au fond très individuelle et j’irais même plus loin : pour moi, l’art sociologique a paradoxalement été une sorte d’autoanalyse ou de thérapie collective, non pas en allant sur le divan du psychanalyste – c’est un peu cher et ça ne marche pas toujours -, mais en me confrontant au monde réel, aux problèmes des autres, à la société.