Extrait du catalogue de Céret (p 23)
Tampons, mots-images déclaratifs, mots-manifestes, qui prennent valeur impérative et d’authentification, comme un simulacre institutionnel parodiant ironiquement la bureaucratie. L’artiste se saisit du pouvoir autonome d’affirmer son territoire et ses modes de pensée divergents, provocateurs, dans sa marginalité dérisoire. Les tampons d’artistes prennent force de dialogue ironique officiel au nom de contre-lieux philosophiques, interrogatifs et utopiques.
Les tampons sont des images qui parlent, des mot à mot qui articulent des idées fortes par association, imbrication dans le même sceau selon les codes visuels du pouvoir. Les idées prennent ainsi racine visuelle, selon un design synthétique d’usage facile, extensif. Ils appellent à un geste répétitif et automatisé comme une contamination virale, comme les mèmes des réseaux numériques, simulant leur volonté de conquête idéelle et imaginaire. Les tampons d’artistes sont les tatouages algorithmiques d’autres mondes possibles, dont le décalage parodie les pouvoirs que les artistes n’ont pas.
Ces tampons, dont j’ai usé à partir de 1971 sur des toiles, des panneaux émaillés, des textes manifestes, des correspondances, m’ont plongé dans une pratique artistique internationale en cours depuis des années déjà, née de la contestation dadaïste, soutenue par les mouvements Fluxus et d’art par correspondance. Pour plusieurs artistes, les tampons ont été plus que le véhicule de leurs idées fonda- mentales et de leurs dérisions : un médium artistique en soi, comme les décalcomanies, dont ils ont fait des images grand format et des livres poétiques, voire un art conceptuel avant même que cette tendance s’affirme1. Ce furent pour moi dès le début des munitions d’art sociologique, des outils de prise de parole, de détournement, de pédagogie et de rêve, dont j’aimais l’efficacité directe, sans détour ni épaisseur. J’avais le plus grand des plaisirs à les créer et les commander à la boutique du fabricant. Dans les années 1970, il y en avait beaucoup, en Europe certes, mais aussi et encore plus en Amérique latine et du Nord. Ils permettaient aux artistes d’affirmer et de communiquer internationalement leurs idées, leurs valeurs, leurs postures, sans dépense d’argent, préfigurant les facilités communicationnelles de l’âge du numérique, les blogs, les brèves sur Twitter, les messages sur les réseaux sociaux, dans l’esprit créatif et réactif du web 2.0.
J’aime encore leurs manches arrondis en bois et leurs matrices en caoutchouc. Ce sont désormais des outils archaïques de communication, mais toujours capables de parler fort et de séduire. Je suis resté fidèle à leur capacité pédagogique. J’en ai créé quelques-uns à nouveau en 2010, pour le plaisir de l’affirmation provocative. Ils synthétisent des idées devenues pour moi fondamentales, comme l’éthique et le périphérisme planétaires. Au musée de Céret, les murs blancs d’une salle sont dédiés à cette tamponnerie ludique, où ces tatoueurs et des encreurs bleus et rouges sont mis à disposition du public invité à jouer avec ces idées des années 1970 et de maintenant qui ont dirigé et ponctué ma vie.
- Ce fut le thème de mon premier livre : Art & communication marginale, tampons d’artistes, Balland, Paris, 1974 (en français, anglais et allemand).