Extrait : Catalogue Céret p 48
Dans le village allemand de Winnekendonk, en juillet 1982, je proposais de créer un « champ imaginaire » de panneaux de signalisation soulignant les préoccupations principales des habitants. Des réunions et débats dans la café du village aboutirent à des choix de mots et à la fabrication de panneaux que les habitants installèrent ensuite dans une prairie mise à disposition pour l’occasion ; apparut ainsi un parcours textuel, poétique et socio-politique collectivement créé.
Zeit – le temps
Commentaire : Blog Hyperhumanisme 04/07/2011
Le temps de la nature apparaît d’abord cyclique. Les cultures anciennes l’interprétaient ainsi. Et il apparaît rapide lorsqu’on observe la croissance des plantes ou des êtres vivants en général. Il peut se précipiter et remodeler en quelques instants un paysage en cas de tremblement de terre, de tsunami, d’éruption volcanique. Il est lent quant à la dérive des continents, la fonte des glaciers ou l’érosion des montagnes. Il est donc divers. Le temps lent de l’évolution de notre espèce n’est pas perceptible à l’échelle des générations. Mais nous savons qu’il a été rapide en comparaison de l’évolution des autres espèces. Il a été accéléré par des modalités d’adaptation et de sélection naturelle, mais surtout par des divergences et des mutations physiologiques.
Face à l’exigence d’éthique planétaire, la volonté est nécessairement urgente, à l’échelle des scandales qui se succèdent et de la réaction immédiate qu’attendent légitimement ceux qui sont victimes de la violence.
Pour autant, face aux sceptiques qui ne croient pas au progrès moral de l’humanité et nous considèrent comme des ingénus, la réponse qui s’impose est celle de la lenteur du temps social qui est nécessaire pour ce progrès. A cette échelle, force est d’admettre le progrès global de la condition féminine dans une majorité de pays, la diminution de l’esclavage, voire sa disparition – même si l’esclavage a pris aujourd’hui d’autres formes d’exploitation qui demeurent encore aussi nombreuses que scandaleuses. Les cas de cannibalisme et de sacrifice humain sont devenus rares, même si d’autres abus se perpétuent. Au-delà des cas d’évidence du progrès qu’on se plait à citer, les famines continuent, les guerres aussi, les génocides aussi.
On trouvera toujours de brillants dialecticiens capables de démontrer que le progrès moral collectif est un leurre, au au contraire une évidence.
La réponse est du côté du temps lent, mais globalement encourageant de l’évolution humaine, qui nous permet d’espérer que d’ici quelques siècles, nous aurons encore nettement progressé.
Peut-on accélérer cette lenteur? A priori, je ne le crois pas. Encore que je le veuille. Il ne faut pas oublier que le progrès est avant tout une volonté en acte. Pas une observation avec un chronomètre. C’est ce que les sceptiques oublient. Ils oublient aussi de mettre l’épaule à la roue, ce qui les convaincrait aussitôt. Il faut la foi et la persévérance de Sisyphe.
Le temps de Sisyphe est lent, mais répétitif et inébranlable.
L’empire de la folie
Commentaire : Blog Hyperhumanisme 03/07/2011
Comment l’Allemagne de Kant, Hegel, Schiller, Novalis, Goethe, Max Weber a-t-elle pu se soumettre si facilement, voire ardemment à la dictature hitlérienne de la folie? Comment l’irrationnel peut-il s’imposer si violemment, publiquement, soudainement aux masses humaines et dévaster rageusement nos valeurs les plus sacrées? Comment la rationalité des génocides peut-elle prévaloir si puissamment et minutieusement sur des êtres qui paraissaient la veille en plein contrôle de leur humanité?
La puissance obscure de l’irrationnel demeure un mystère que Freud lui-même parvient mal à expliquer. Thanatos est un instinct qui remonte des profondeurs obscures de notre psyché, une sorte de primitivisme latent en nous.
C’est ce que les habitants du village allemand de Winnekendonk ont voulu rappeler en plaçant ces deux signalisations imaginaires dans le champ, dirigées vers le couvert de la forêt: fils de fer barbelés (Stacheldraht)du champ, si habituels, mais qui évoquent les terribles clôtures des camps de concentration du nazisme encore si récent (Konzentrationslager).
Gegenüber – en face
Commentaire : Blog Hyperhumanisme 06/07/2011
De l’autre côté, l’autre, l’étranger, celui qui est en face, le lieu, la personne avec lequel nous développons un lien d’étrangeté, par opposition avec celui qui est de notre territoire, de notre clan, de notre famille, de nos proches. Voilà tout ce qu’évoque cette signalisation imaginaire des habitants du petit village allemand de Winnekendonk où j’ai initié en 1982 cette intervention collective d’art sociologique dans un champ.
De l’autre côté de la clôture, dans le bois en bordure du champ où cette signalisation est plantée, que se passe-t-il d’étrange, de mystérieux, d’inconnu, d’autre, qui ne relève pas de notre identité familière. Nous voilà plongé dans la mythanalyse des frontières, dans les hostilités, les peurs – ou l’attraction de l’inconnu. Nous sommes en dehors du carré parental où nous nous sentons en sécurité, confrontés à l’ailleurs du monde, regardant la face d’une autre planète avec laquelle il nous faut construire des liens pour surmonter la peur, découvrir l’univers, élargir, enrichir notre conscience. Voilà la structure anthropologique qui nous oblige à construire l’hyperhumanisme.
Vers où? Plus loin.
Commentaire : Blog Avenir de l’Art 10/07/2011
Wohin? Weiter. L’avenir? Est-ce important de penser à l’avenir de l’art? N’est-ce pas le présent qui est important? Tout art n’implique-t-il pas un projet?
L’humanité a mis un tigre dans son moteur, comme dit la publicité automobile. Toujours plus vite! Toujours plus loin! Mais où, plus précisément? A quel prix? Pour quel progrès? Il semble que nous soyons pris dans une logique d’accélération, supposée nous maintenir en équilibre. S’arrêter, ce serait tomber. L’économie nous oblige. La démographie aussi. La technoscience aussi. Alors, où allons-nous si vite? La nature en fera-t-elle les frais? L’homme? Les deux? Ou la vie deviendra-t-elle meilleure?
L’équilibre de l’écosystème est-il le même que celui de l’économie et de la consommation? Un complexité difficile à gérer.
Geld – L’argent
Commentaire : Blog Art et Economie 26/06/2011
Le laboureur et ses enfants
Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
« Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents :
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’oût :
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse. »
Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout….
si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.
D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Jean de La Fontaine
Notre regard sur la nature a beaucoup changé. De la simple exploitation vertueuse, nous sommes passés à un respect écologique qui peut s’opposer radicalement à toute exploitation.
Lust – Le désir
Commentaire : Blog Avenir de l’Art 04/07/2011
Cette signalisation imaginaire choisie et placée par les habitants du petit village allemand de Winnekendonk dans un champ en 1982 se reflète dans l’eau au bord du bois.
Envie, désir, libido, Éros: un thème intime que la nature anime de vibrations narcissiques.
Freud a génialement mis en évidence ce fondement érotique de nos vies dans sa théorie psychanalytique. La psychanalyse en a fait abusivement une obsession. On pourra écrire tout ce que l’on voudra contre Freud et contre la psychanalyse, souvent à juste titre – et je ne m’en suis pas privé moi-même en théorisant la mythanalyse (La société sur le divan, 2008), il n’en demeure pas moins que nous devons à Freud cette mise en évidence dont la puissance demeure incontournable.
Éros est à coup sûr présent dans le carré parental, sous forme nourricière, même si l’éveil à la sexualité est retardé physiologiquement chez l’enfant pendant plusieurs années. (Retardé ne veut pas dire absent. Mais l’explosion sexuelle déclenchée par les hormones à l’âge de la puberté devient alors effectivement obsessionnelle chez beaucoup de personnes.)
Klarheit – La clarté
Commentaire : Blog Mythanalyse 11/07/2011
L’illusion de la clarté
Toute clarté n’éclaire que ce que nous savons, désirons, voire ce que nous craignons – encore que cela relève davantage de l’obscurité. Les oiseaux nocturnes voient dans la nuit. beaucoup d’êtres vivants n’ont pas d’yeux. La clarté n’est que la rencontre du soleil et des yeux. Beaucoup ? Pas grand-chose. Un champ spectral très limité. La clarté est plutôt une vertu de la familiarité que de la vision. De l’habitude que de l’esprit. Une fiction. Et pourtant, la clarté est tout pour nous. La nuit est la peur, l’imaginaire hyperactif. La clarté est réductrice, apaisante. Le lait du sein.
Dauer – Le temps
Commentaire : Blog Mythanalyse 05/07/2011
Kant, un philosophe sans sensibilité
Qu’est-ce que le temps qui dure? Le temps qui n’est pas volatile, pas éphémère, mais qui a une intensité. Un temps court? Long? Répétitif? Monotone? Intense?
Nous avons du temps toutes sortes d’impressions différentes et contradictoires. Bergson en a abondamment parlé.
Je vois surtout dans la durée une stabilité. Celle d’un effort persévérant, celle d’un développement durable, comme on le dit souvent aujourd’hui pour faire référence à l’aménagement écologique. Nous avons, bien sûr un – des problèmes – avec le temps. Une œuvre, un couple peuvent bénéficier de la durée. La durée n’est pas l’éternité. Il y a des durées longues et d’autres courtes. Etre de courte durée paraît négatif, encore que si nous parlons d’un mal, cela devienne positif. Nous mettons donc dans le temps des valeurs, des qualités ou des défauts, comme dans l’espace.
L’idée kantienne de l’espace et du temps comme des formes a priori de la sensibilité est une pauvre abstraction théorique, bien digne d’un philosophe qui a une vie ordinaire et répétitive. Un philosophe qui n’a justement pas de sensibilité !
La sensibilité fait étroitement partie de l’intelligence, parce que l’intelligence s’est formée dans le climat affectif du carré parental, où tout lien implique une émotion, une valeur rassurante ou inquiétante. La construction neuronale du cerveau est fondée sur l’affectif.
Si Kant avait su conserver cette sensibilité affective, il aurait évité de perdre des années à réfléchir et écrire sur les formes a priori de la sensibilité, avec lesquelles j’ai perdu à mon tour trop de temps lorsque j’étais étudiant en philosophie.
L’abstraction est une démarche fort utile, instrumentalement très efficace, qui nous a valu beaucoup de réussites scientifiques. Elle est le fondement du mythe platonicien des eidos, les idées abstraites. Nous lui devons le rationalisme. Ce n’est pas rien ! Mais la réalité qui nous intéresse est dans la caverne de Platon, pas dans l’air éthéré et vide de l’idéalisme.
Cela aussi, la mythanalyse nous le rappelle avec force. La lucidité est du domaine de l’affect. La vérité est une construction théorique, qui quitte ses fondations vitales et devient vite fictive. Même de la mythanalyse, inévitablement théorisante, j’ai pris soin de dire qu’elle est une théorie-fiction.