Référence :
211219
Titre :
La mythanalyse se fonde sur la naissance
Date :
2011
Famille/Série
Observations :
Bibliographie
Naissance de la mythanalyse
La naissance de la mythanalyse peut se raconter. Le récit que j’en ferai sera inévitablement personnel et d’autres pourront proposer une autre histoire.
Je dirai que la mythanalyse doit beaucoup à l’émergence idéologique et la légitimation de l’irrationnel dans notre chère maison occidentale. Il faut ici rendre hommage à Rimbaud, Lautréamont, à Dada et au surréalisme. La poétique des éléments premiers ou l’analyse critique de la science , telles que déployées par Gaston Bachelard, constitue aussi un moment important. Bien sûr, cette histoire compte avec Freud, son Totem et tabou, son Malaise dans la civilisation, deux textes qui tentent d’élargir la psychanalyse à l’anayse sociale. On se doit de souligner aussi l’importance de Jung, de son idée d’inconscient collectif, de son invention des archétypes, d’Erich Fromm, notamment de son Langage oublié : introduction à la compréhension des rêves, des contes et des mythes. Nous citerons aussi les tentatives de la socioanalyse, en particulier de Gérard Mendel. Mais la mythanalyse doit beaucoup plus à la sociologie. Il faut reconnaître l’importance des Formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim, mais selon moi plus encore rendre hommage aux analyses des rapports entre espace pictural et société publiées par Pierre Francastel. Francastel a été mon maître à penser, tant pour concevoir l’art sociologique que la mythanalyse. Nous nous ferons un devoir de souligner l’approche de Gilbert Durand, surtout de ses Structures anthropologiques de l’imaginaire, un livre dont le titre portait un ambitieux projet, mais qui en réalité a beaucoup déçu et n’a pas eu de suite, même pour ceux qui, comme lui, se sont passionnés pour la mythologie ancienne. Plus récemment, j’ai trouvé beaucoup d’intérêt dans l’ethnopsychanalyse de Tobie Nathan.
Pour ce qui me concerne, j’ai eu l’intuition de l’importance de la mythanalyse en construisant la théorie de l’art sociologique dans les années 1970. C’est la critique de l’idéologie avant-gardiste qui m’a fixé sur l’analyse du mythe du progrès et de son incompatibilité avec les mythes de l’art. J’en ai parlé assez précisément dans le dernier chapitre de L’Histoire de l’art est terminée (Balland, Paris, 1981) et j’ai commencé dans la foulée à rédiger un manuscrit intitulé Mythanalyse qui a été refusé par André Balland en 1983. Pour toutes sortes de raisons personnelles – divorce, émigration au Québec, création de la Cité des arts et des nouvelles technologies de Montréal en 1985 et engagement dans les arts numériques -, j’ai laissé reposer ce manuscrit que je n’ai repris qu’en 1999, en même temps que la peinture et que j’ai publié en ligne en 2000, sous le titre Mythanalyse du futur (www.hervefischer.net).
Ce texte a été pour moi une sorte d’atelier de pensée, d’où sont sortis successivement depuis trois livres qui, selon moi, fondent sérieusement la mythanalyse et en proposent la théorie: CyberProméthé ou l’instinct de puissance (vlb, Montréal, 2003), Nous serons des dieux (vlb, 2006) et La société sur le divan, éléments de mythanalyse (vlb, 2007).
Les deux éléments les plus fondamentaux me paraissent être, outre l’affirmation de la pleine actualité des mythes dans nos sociétés contemporaines, l’élaboration théorique de l’instinct de puissance, que j’ai appelé Prométhée, reprenant la tradition grecque de Freud actualisant Eros et Thanatos, et la structure élémentaire du carré parental (la mère, le père, l’autre et le nouveau-né).
Cette structure élémentaire qui est le fondement de la mythanalyse, est biologique et culturelle. Je ne suis pas prêt à admettre dans la mythanalyse d’autre théorie que matérialiste. Les approches idéalistes, telle celle de Jung ou de Fromm déconsidèrent la mythanalyse en se fondant naïvement sur un mythe non reconnu comme tel.
Bien sûr, je compte publier un autre livre sur la mythanalyse, qui développera et articulera les idées que j’accumule dans ce blogue. Un de ces jours.
Réf / Blog Mythanalyse 30/06/2011
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L’origine des mythes
Le numérique est une technologie prodigieuse, mais il ne faut pas en faire une religion et une Église ! Et c’est pourtant ce que nous faisons de plus en plus. Pourquoi ? L’efficacité ne suffit pas à l’expliquer. Nous croyons au numérique comme à une nouvelle promesse, comme à un mythe salvateur. Et c’est cet imaginaire qu’exalte le numérique que nous devons tenter de déchiffrer. Non seulement pour en comprendre le succès, mais aussi pour nous comprendre nous-mêmes. Et c’est ce que nous tentons ici. Car le mirage du numérique est un révélateur étonnant de notre évolution, tant de la pérennité de nos archaïsmes que de la divergence radicale du futur que nous inventons.
Nous allons donc explorer les imaginaires sociaux de cet âge du numérique émergent. Nous pensions qu’il s’agissait d’une révolution technologique et scientifique, mais nous y découvrons paradoxalement des croyances, des espoirs, des peurs et des émotions des vieux mythes des origines et du futur que nous pensions dépassés, mais que réactive spectaculairement le code binaire : la lumière, l’unité universelle, la puissance créatrice humaine (CyberProméthée, vlb, 2003), et ceux, futuristes et spirituels, de la noosphère teilhardienne et de son point Omega d’achèvement de notre évolution. La mythanalyse se distingue de la mythocritique que Gilbert Durand a développée dans Les structures anthropologiques de l’imaginaire (1960), qui désigne l’histoire érudite et l’analyse des mythologies anciennes. La mythanalyse, telle que je la conçois (L’Histoire de l’art est terminée (1980), Mythanalyse du futur (2000) et La société sur le divan. Éléments de mythanalyse (2006), travaille sur les sociétés contemporaines. Elle consiste dans le repérage et le déchiffrement de nos mythes actuels. Elle souligne que c’est le monde qui vient au nouveau-né et non pas le contraire, comme l’affirme le langage courant. Le nouveau-né construit imaginairement son interprétation de ce monde qui l’enserre selon les quatre figures du carré parental : la mère, le père, lui et l’autre (au sens lacanien : le langage et la culture de la société qui va formater sa psyché, sa structure mentale et ses valeurs). C’est dans le carré parental, dans l’état d’impuissance et d’émotion prolongées auquel il est réduit, les pattes en l’air, sur le dos, que le nouveau-né va fabuler, former ses désirs et ses peurs, et les incarner dans les figures mythiques de la société qu’il habite. C’est dans le carré parental que chaque nouveau-né répète, sous l’influence familiale déterminante de l’autre (la société), la gestation des mythes interprétatifs du monde étrange qui vient à lui, et qu’il y adhère psychiquement. Ce sont les grandes figures du carré familial : la mère, le père, l’autre, et les principaux événements de sa vie fœtale et postnatale qui s’inscriront et s’incarneront dans l’imaginaire mythique qu’il partagera avec sa société de naissance. C’est la structure familiale du carré parental qui formate durablement sinon pour toujours les principaux circuits synaptiques de son cerveau encore plastique, au point que cette logique familière lui deviendra naturelle, et qu’il en oubliera la gestation sociobiologique même On le voit bien : la mythanalyse embrasse bien plus que le numérique. Mais le numérique s’offre à nous comme un champ d’analyse étonnamment significatif et démonstratif de notre conception de la mythanalyse. Il constitue notre nouvel Olympe et nous y retrouvons les figures mythiques centrales de la fabulation du nouveau-né dans le carré parental. Nous pensons que le rationalisme nous a permis de nous « démytifier ». C’est notre plus grande illusion que de nous croire libérés des superstitions et autres mythes infantiles. Nous adhérons aujourd’hui encore, à l’âge du numérique, de l’exploration de l’espace et des nanotechnologies, à autant de mythes que les Égyptiens ou les Vikings. Et nous sommes confrontés pour une large part à ces mêmes croyances archaïques, même lorsqu’elles se personnifient autrement. Ces mythes demeurent d’origine bio-familiale, quelles qu’en soient les actualisations sociales. Pas plus que les Grecs ou les Incas nous ne savons que nos croyances actuelles sont mythiques, sans doute parce qu’elles s’expriment autrement, moins selon les figures anthropomorphiques des mythologies anciennes (des dieux et des déesses), mais davantage en concepts abstraits, tels que le Progrès, l’Histoire, la Raison, le Travail, le Futur qui nous ont dominés depuis le XIXe siècle, puis dans les grands acteurs sociaux de notre imaginaire contemporain ; la Technoscience, l’Économie, l’Écologie, et plus précisément aujourd’hui le Numérique et ses prodiges vis-à-vis desquels nous développons une immense dépendance et dont nous célébrons la pensée magique, les rituels, les malins génies et les démons, qui semblent réveiller des sorcelleries primitives.
Réf : Blog Mythanalyse 18/01/2014
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Le retard de la mythanalyse
Pourquoi n’avons-nous pas fondé la mythanalyse depuis des générations, alors qu’elle touche à l’essentiel de notre rapport au monde et que son importance et ses concepts nous apparaissent aujourd’hui aussi évidents ?
Nos fabulations collectives ne sont-elles pas aussi déterminantes de nos valeurs et de nos comportements que nos jugements de raison? Voire beaucoup plus, si vous m’accordez que la théologie a été une fabulation et que notre foi dans la Raison est tout aussi fabulatoire que notre croyance en Dieu?
Pourquoi avons-nous dû attendre que Freud et Jung inventent la psychanalyse et qu’ils l’élargissent occasionnellement et diversement à l’analyse des inconscients sociaux pour que la génération qui leur a succédé pense à développer une mythocritique ou la mythanalyse?
La question est ouverte. J’en suis venu à penser que cela tient à notre aveuglement pour ce que nous avons appelé « la modernité ». Nous nous sommes crus modernes et avons pensé en corollaire que nous avions passé l’âge des mythes (considérés comme des superstitions, des croyances naïves et fausses d’un passé révolu).
Plusieurs grands esprits modernes ont alors analysé les mythologies selon leurs structures, leurs filiations anthropologiques avec une érudition historique admirable, mais sans prendre conscience que nos sociétés actuelles croient en autant de mythes naïfs que les sociétés anciennes sans en avoir la moindre conscience. Même Gilbert Durand s’est laissé piéger. L’époque le voulait ainsi. Il a en outre repris de Jung une croyance dans les archétypes éternels et universels, asociologiques, qui a détourné son attention de l’exigence d’actualité de la mythanalyse que je revendique avec insistance comme une condition de fondation de la mythanalyse.
Les mythologies relèvent du passé. Les mythes sont actifs et déterminent le présent. C’est là une distinction fondamentale entre Gilbert Durand et moi. Elle est liée au fait que contrairement à Gilbert Durand, je ne crois pas à l’invariance des archétypes. Je suis sociologue avant d’être mythanalyste. La fabulation jungienne n’est ni démontrable, ni justifiable: c’est un reliquat d’idéalisme platonicien qui n’a pas sa place dans une vision biologique de l’inconscient individuel et matérialiste des imaginaires sociaux.
Mais voilà que c’est la modernité elle-même qui appartient aujourd’hui à notre passé. Paradoxalement, elle est révolue. La postmodernité, dont je ne partage pas les valeurs décadentes, a eu le mérite de nous ouvrir les yeux sur notre illusion de modernisme.
Il est fondamental que nous prenions conscience de l’actualité et du rôle déterminant de nos mythes actuels. Mais il nous faut fonder la mythanalyse sans tomber dans un rationalisme obsolète. Nous ne pouvons penser la mythanalyse, comme toute autre théorie, qu’avec des métaphores et des mythes liés au concept d’élucidation. C’est pourquoi d’emblée j’ai affirmé que la mythanalyse est une théorie-fiction, ce qui ne lui enlève rien de sa capacité d’analyse dans nos limythes humaines, ni de son urgence dans un moment de notre aventure humaine où les risques technologiques que nous prenons collectivement deviennent considérables.
C’est notre croyance dans notre modernité occidentale qui a créé le retard que nous avons pris dans l’émergence de la mythanalyse. Mais celle-ci nous est apparue dès sa naissance comme une urgence en tant que démystification et thérapie collective. Il nous faut apprendre sans tarder à distinguer selon les valeurs de notre mythe hyperhumaniste les mythes bienfaisants des mythes toxiques pour notre avenir. Une problématique parfois complexe.
Réf : Blog Mythanalyse 01/06/2018
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