Référence :
211234
Titre :
Vivent les femmes !
Date :
2011
Famille/Série
Observations :
Bibliographie
Mythanalyse du féminisme
L’imaginaire du féminisme: voilà un sujet de réflexion difficile et dans lequel il peut paraître pour un homme fort risqué de s’aventurer. Le mythanalyste dès lors prendra la précaution de rappeler qu’il ne donne qu’un avis d’homme et demandera, pour faire avancer l’analyse, aux femmes de le lire et de le critiquer.
Nous avons déjà souligné à maintes reprises que la Révolution de 1789 marque le moment où les fils se révoltent contre le père. Ils le guillotinent, coupent aussi les têtes des statues dans les églises, profanent les tombes des prêtres, s’emparent des biens de l’Eglise qui légitimait son pouvoir. Ils instaurent le temps des fils. Non plus le respect du passé, mais l’Histoire à accomplir et le Progrès. Ils remplacent la vérité révélée par le culte de la raison. Bref, ils prennent la place du père et veulent changer la société, ses institutions et ses valeurs, pour établir les leurs. Nous sommes depuis 1789 dans le temps des fils, même si nous observons que ceux-ci ont souvent repris des postures paternalistes et autoritaires, et reproduisent les valeurs qu’ils avaient reniées, comme la bourgeoisie napoléonienne a instauré le néo-classicisme après avoir découvert le préromantisme du XVIIIe siècle.
Bien sûr, les femmes ont participé dans les Salons et dans les rues à cette révolution. Elles aussi ont pris le Bastille. Elles-mêmes avaient été reléguées jusqu’alors à des rôles sociaux conformistes, restrictifs. Elles étaient absentes de l’histoire de la philosophie, des arts et des sciences, à quelques rares exceptions près. Il suffit d’ouvrir le dictionnaire pour le constater avec consternation. Mme du Châtelet, l’amie de Voltaire, Mme de Staël et quelques autres se sont distinguées, mais dans l’ensemble, la condition féminine instituée par le machisme social était rétrograde. Et les femmes n’ont pas obtenu de la révolution française un nouveau rôle, une reconnaissance, ni un nouveau pouvoir. Le code civil napoléonien ne leur accorde pas grand-chose, Napoléon lui-même étant convaincu qu’elles ne doivent pas se mêler des affaires publiques. Il faudra d’ailleurs attendre un siècle et demi pour qu’elles se voient reconnaître le simple droit de vote (par de Gaulle en France).
C’est contre ce blocage idéologique et social que les femmes vont finir par se révolter à leur tour, et élaborer le programme féministe. Lorsque j’ai émigré au Québec, au début des années 1980, on finissait de discréditer le marxisme en France, mais c’était là encore le coeur du débat idéologique (Raymond Aron contre Sartre). Au Québec, le débat social portait sur le féminisme. Les femmes écrivaines, poètes, comme en France, Simone de Beauvoir ou Françoise Giroud, en étaient les principales actrices: Nicole Brossard, Suzanne Lamy, France Théoret et tant d’autres inspirées par Marie-Gérin-Lajoie ou Thérèse Casgrain. Et elles y mettaient une ardeur qui n’a jamais existé en France. Les suffragettes et les écrivaines ont été radicales, voulant instaurer un conflit libérateur avec les hommes; elles se déclaraient lesbiennes. Elles rejetaient bien sûr les valeurs maternelles, domestiques, aussi bien que celles d’objet sexuel dans lesquelles les hommes les avaient enfermées. Elles avaient fait leur révolte contre les mères dans la vie familiale et quotidienne, mais ce n’est plus contre la mère que les filles voulaient établir à leur tour le temps des filles. C’était contre les fils qui avaient maintenu vis-à-vis d’elles les postures réactionnaires du père. Et elles ne voulaient plus reproduire avec ces fils le modèle traditionnel, nourricier du couple familial dominé par l’homme et les exigences maternelles. Cet égalitarisme féministe revendiqué rappelait dans les années 1970-1980 l’égalitarisme citoyen réclamé par les révolutionnaires de 1789. La révolution féministe exigeait avec un siècle et demi de retard son dû de 1789, dont les fils, une fois au pouvoir, les avaient privées.
Au-delà des excès inévitables de toute révolution, même de celles qui sont idéologiques seulement et ne font pas couler le sang, ce que nous retiendrons aujourd’hui, c’est que les femmes ont dû alors inventer ce que nous appellerons les valeurs féminines, dans leur différence avec les valeurs masculines. Elles n’en avaient aucun modèle. Elles ne voulaient surtout pas répéter les valeurs de leurs mères, alors que les fils avaient, après la transgression, largement repris les valeurs confortables du père. Elles devaient repenser la société, non seulement au niveau des institutions politiques, mais, ce qui est beaucoup plus difficile, dans la vie quotidienne, privée, intersubjective, celle du couple, de la famille, de la maison. Et les hommes le ressentaient comme une agression directe contre leur machisme traditionnel (naturel, inconscient, et d’autant plus fort et résistant).
Le temps des filles, qui émerge un siècle et demi plus tard que le temps des fils, c’est donc celui de l’innovation sociale. Les fils se sont rangées, ont oublié leurs audaces. Pas les filles, qui veulent désormais changer les règles du jeu.
Et c’est un paradoxe historique pour nous, les hommes, que de voir ces femmes, que nous avions toujours pensées plus traditionalistes que nous, fonder les nouvelles valeurs féminines qui changent aujourd’hui les sociétés, aussi bien en Afrique, en Inde, en Chine qu’en Europe. Les femmes sont devenues les acteurs les plus innovants, créatifs de nos modes de socialisation. Il faut leur donner l’espace qu’elles revendiquent légitimement aussi en politique, dans l’économie, dans la gestion des entreprises, dans les institutions internationales, dans les sciences, dans les arts. Globalement, dans la foulée des changements sociaux qu’elles provoquent, elles peuvent aujourd’hui changer plus le monde que les hommes. En tout cas, il faut leur en donner la chance. Le monde va mal et ce sont les hommes qui l’ont mené là. Avec les femmes, ce ne sera peut-être pas mieux demain matin, tant les verrous sont bloqués, mais du moins un juste équilibre des responsabilités entre fils et filles est absolument nécessaire. Nous en sommes encore très loin de cette équité et de cette intelligence.
Réf : Blog Mythanalyse 17/07/2011
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Mythanalyse d’un inconscient collectif toxique: le machisme grec et biblique
Les deux mythes de la création de la première femme, le biblique de la Genèse et le grec d’Hésiode nous racontent leur fabrication triviale et leurs fautes fatidiques. L’une, sous l’influence du Diable propose à Adam de désobéir à Dieu et de croquer la pomme de la connaissance, ce qui entraînera tous nos malheurs. L’autre, sur l’ordre de Zeus, séduit Épiméthée, celui qui comprend trop tard, et ouvre la boîte des mêmes malheurs de l’humanité. Les vieux mythes nous apparaissent aujourd’hui fondamentalement misogynes. L’interprétation du mythe de Pandore, tel que nous le rappelle Jean-Pierre Vernant, le grand spécialiste français de la mythologie grecque, ne laisse aucun doute sur le machisme de la civilisation grecque. Quant aux monothéismes, on voit bien ce que les religions juive et islamique ont fait de la femme : des êtres soumis, sans droits, que domine arbitrairement l’homme. Le catholicisme a au moins tardivement inventé le mythe de la Vierge et canonisé de grandes saintes. Mais ll voit encore la femme comme la chair du péché et lui interdit toute autorité dans une Eglise composée exclusivement d’hommes.
L’Occident a hérité de ces deux mythes, le biblique et le grec sans les remettre en question et il en est résulté une image extrêmement dévalorisante de la femme dans notre inconscient collectif pendant plus de deux millénaires. Pourquoi en rester là?
Le féminisme ne peut se limiter à une lutte idéologique sans réécrire notre inconscient collectif. La mythanalyse se propose donc de réhabiliter Ève et sa pomme, faussement déclarée fatale, ainsi que Pandore et sa boîte tout aussi faussement interprétée, car la pomme et la boîte (une jarre, devrions-nous dire) ont donné à l’homme la conscience de sa liberté. S’impose l’exigence de réécrire ces deux mythes et de les transformer en un nouveau mythe qui porte des valeurs positives de la femme en Occident. Ce que Hésiode et la Bible ont écrit, l’homme d’aujourd’hui peut et doit s’en libérer, en le rangeant dans nos archives et documents mythologiques. Les mythes ne sont pas des invariants archétypaux. Ils ont été créés par des hommes, poètes prophètes ou prêtres, selon les pouvoirs dominants et les idéologies du moment. Et lorsqu’ils s’avèrent toxiques, il est nécessaires de les remplacer. Créer un nouveau mythe de la femme, en tentant de lui donner une puissance imaginaire suffisante pour qu’il s’impose sur les précédents. L’inconscient collectif n’est pas une fatalité; c’est seulement une sédimentation, qu’utilisent aujourd’hui encore ceux qui y voient un intérêt idéologique. La mythanalyse n’est pas seulement une science humaine de déchiffrement de nos imaginaires sociaux actuels. Elle est aussi un mode d’action engagé en faveur du progrès collectif. Elle a un pouvoir transformateur. Ce que la poésie a fait jadis et qui se révèle destructeur, la mythanalyse se doit de le dénoncer. C’est en ce sens que la mythanalyse, toute relative qu’elle soit, peut initier une thérapie collective. Une société toxique se soigne, par l’engagement idéologique, par la lutte (dans ce cas le féminisme), mais aussi et surtout par la transformation de son inconscient collectif. Balivernes et vues de l’esprit ingénues m’objectera-t-on? Cette transformation mythique qui s’impose à nous dans le cas du statut inconscient de la femme en Occident, n’a rien d’impossible. Les mythes naissent et se maintiennent, ou meurent et changent. La Révolution de 1789 nous en donne un exemple indubitable. Le mythe de Dieu meurt, après celui de l’Olympe grec. Les mythes de la Raison, de l’Histoire, du Progrès émergent, ce sont des inventions modernes, ce qui ne les empêchent pas d’avoir une immense force mythique et de déterminer les comportements de nos sociétés actuelles. Ils sont certes vulnérables à leur tour, mais c’est en vain que la postmodernité a tenté de les décrédibiliser radicalement. Le mythe de l’Histoire, certes, en est mort. Mais je ne doute pas que le mythe de la Raison garde sa force en devenant plus relativiste, ni que celui du Progrès lui survive, tant sous l’effet de la technoscience numérique, que de l’émergence d’une éthique planétaire. L’idéologie peut changer les configurations mythiques. La mythanalyse en est partie prenante, nécessaire.
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* J’ai déjà écrit dans ce blog sur ce que pourrait être l’apport de la mythanalyse au féminisme:
http://mythanalyse.blogspot.ca/2011/07/mythanalyse-du-feminisme.html
Voir aussi: http://www.repere.tv/?p=12735
Réf : Blog Mythanalyse 06/03/2014
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