Le 3D

Référence :
211280

Titre :
Le 3D

Date :
2011

Famille/Série


Observations :

Bibliographie

Qu’est-ce que le 3D?
Dans la peinture romane, la troisième dimension était l’ailleurs divin auquel nous appelaient les auréoles dorées des icônes et la lumière bleutée des vitraux. Il s’agissait d’une convention théologico-picturale.
À partir du Quattrocento, c’est par l’invention de la perspective euclidienne, que les artistes expriment la profondeur de l’espace réel ici-bas, qui désormais les intéressait autant que Dieu. On inventa en même temps le réalisme, l’humanisme et le rationalisme. Cette convention optique ou géométrique, tout aussi artificielle que la précédente, est complétée par une tendance progressive au réalisme des visages et des objets, par l’invention des ombres (antérieurement l’ombre n’existait pas dans la peinture, si ce n’est pour évoquer le mal et le diable), par la couleur locale (antérieurement les couleurs répondaient à un strict code religieux symbolique), par la dynamique perceptive des couleurs chaudes (qui rapprochent) et froides (qui éloignent), par le bleuté plus flou des lointains (à cause de « l’épaisseur de l »air », disait Leonard de Vinci).
Aujourd’hui, c’est avec des logiciels que les infographistes construisent les objets synthétiques en trois dimensions. L’image demeure frontale et plate sur l’écran, mais la manipulation par la main de la souris ou de la console – ou sur l’écran tactile directement – suggère une manipulation réaliste dans l’espace écranique. La dynamique 3D est musculaire; le 3D est manuel, ce qui augmente notre impression de réalisme. Comme la perspective euclidienne, ce 3D numérique demeure géométrique et simpliste, si on le compare au cubisme de Juan Gris et Picasso, car il ignore les paramètres psychologiques essentiels de l’expérience: l’intention, la mémoire, le désir ou la peur, l’attente, le projet, comme le souligne la phénoménologie de la perception. Ce 3D est programmatiquement complexe, mais perceptivement pauvre. Les designers recourent donc en outre, comme les peintres de la Renaissance, à des astuces supplémentaires, telles que la dynamique de la lumière et des couleurs, les damiers ou chemins frontaux qui rétrécissent avec l’éloignement, etc. Mais ce 3D qui prétend nous étonner, au-delà de la magie de la manipulation numérique ne fait que tenter d’imiter la réalité ordinaire de nos vies quotidiennes. Il n’y a rien là qu’une tentative banale de réalisme, et même la performance technique ne nous étonnera bientôt plus. Ce 3D se réduira à une utilité d’outil, comme dans les simulateurs de vol pour la formation des pilotes, dans l’enseignement de la chirurgie, dans la modélisation architecturale ou urbaine des professionnels, etc.
Le 3D du numérique réside beaucoup plus dans la lumière bleutée des écrans cathodiques, comme dans celle des vitraux des églises, qui invitent à un ailleurs supérieur, plus réel que l’ici-bas de notre condition humaine, celui du monde virtuel où nous sommes plus puissants, plus heureux, plus connectés, où nous échappons aux limites, frustrations, souffrances du monde réel qui est jugé décevant. Ce 3D est un ailleurs imaginaire, comme celui de la religion, qui nous attire, nous rassure ou nous donne l’illusion d’obtenir des gratifications. Le virtuel est une nouvelle déclinaison numérique de la foi religieuse et de l’idéalisme platonicien.
Dans le cas du 3D numérique, l’interaction avec la réalité d’ici bas est d’ailleurs moins puissante que celle des croyants qui dialoguent avec Dieu, mais elle est souvent plus efficace parce qu’elle nous met en relation avec d’autres personnes que nous pouvons rencontrer réellement.
Toute image est un imaginaire. Notre perception du réel est un hybride de perception visuelle et d’imaginaire. Nous voyons ce que nous recherchons et ne voyons pas ce qui nous est inutile ou indifférent. Ce qui est puissant dans la représentation de la troisième dimension, c’est ce dont nous avons besoin, ce que nous désirons ou dont nous avons peur. C’est, aujourd’hui comme jadis dans la religion, moins une augmentation du réalisme – sauf pour les outils utilitaires – que l’accès à un ailleurs, à un imaginaire, qu’il soit magique, religieux ou numérique.
Réf : Blog OINM 19/11/2011

L’âge du numérique
Après l’âge du feu, voici venir l’âge du numérique, dont la nouveauté radicale, puis l’accélération exponentielle ont été stupéfiants. Médias, technoscience, structures sociales, politique, économie, finances, écologie, biologie, éducation, médecine, culture : rien n’échappe, tant à l’échelle mondiale que dans le détail de nos vies individuelles, au Choc du numérique (édition vlb, 2001). Avec le tournant du millénaire, le monde réel semble avoir basculé dans le virtuel. L’économie imaginaire a entraîné l’économie réelle avec elle dans une crise mondiale dévastatrice. La bioinformatique déchiffre et manipule audacieusement nos gênes. L’astrophysique n’affiche plus sur nos écrans que des fichiers numériques en fausses couleurs, mais explore les confins de notre galaxie et découvre la lumière du big bang. La mécanique quantique et les nanotechnologies sont devenues fabulatoires. Les nouvelles générations s’évadent dans les médias sociaux avec le sentiment d’y accéder à une existence plus supérieure que ce qu’on appelle encore la réalité.

Cette opposition entre le monde d’ici-bas que nous dévalorisons une fois de plus et celui d’en haut que nous survalorisons plus que jamais nous replonge dans le mouvement de balance cyclique de nos interprétations de l’univers. Dans un premier temps, qu’on a appelé « primitif », le monde animiste était d’une seule pièce. Les hommes faisaient partie de la nature dont ils célébraient les esprits. Puis cette unité a été déchirée par Platon, qui nous voyait ici-bas dans la pénombre d’une caverne, enchaînés par des simulacres et des ombres trompeuses, sans pouvoir nous retourner vers la pure lumière de la vraie réalité qui resplendissait là-haut, dans le ciel des idées, et que seul le sage voyait. Le christianisme a renforcé cette opposition, qualifiant de vallée des douleurs et de péché la Terre d’ici-bas et glorifiant la lumière pure et l’infinie sagesse et connaissance de Dieu pour nous inviter à sacrifier nos vies terrestres et mériter le ciel.
Réf : Blog Mythanalyse 23/01/2014
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Les sociétés écraniques (1)
Notre image du monde a considérablement évolué depuis le paysagisme impressionniste. Et pour reprendre les critiques des situationnistes, on pourra souligner qu’avec le web, nous passons de la société du spectacle à l’étape suivante, plus extrême, la société écranique, qui ressemble même parfois à une caricature de la ville! On pourrait soutenir aisément que le monde n’est fait que d’écrans. Instruments de notre nouvelle puissance ubiquiste ou gadgets ubuesques d’un monde schopenhauerien comme jeu et comme représentation, les écrans de notre temps, dans toutes les variations de leurs colorations artificielles, de leurs fonctions interactives et de leurs déréalisations, nous aspirent dans les espaces numériques. Apparences qui nous cachent la réalité, ou rectangles cathodiques qui la modélisent, la projettent et lui donnent des significations symboliques nouvelles, les écrans déclinent toutes les métaphores de notre image du monde et nous donnent accès à un ailleurs virtuel. L’écran devient un média en soi, comme la radio ou le téléphone. On pourrait dire, à la manière de McLuhan : « l’écran, c’est le message ». J’ai proposé d’appeler « nouveau naturalisme » ce monde écranique qui nous cannibalise. On ne saurait sous-estimer la diversité de ces écrans.

– Le tout à l’écran. La philosophie kantienne nous invitait à relativiser notre connaissance, au niveau perceptif des phénomènes et des formes a priori de la sensibilité. La philosophie phénoménologique nous a appris depuis, en suivant la pensée de Husserl et de Merleau-Ponty, à relativiser encore plus notre rapport au monde, comme l’ont fait aussi les peintres cubistes. Avec eux, notre perception est devenue imaginaire, parce qu’intentionnelle, instrumentale, psychologique, culturelle, sociologique, etc. Nous ne sommes plus dans le dispositif simple d’un observateur qui examine un objet extérieur à lui, mais dans un jeu bidirectionnel, en constante mouvance, l’objet observé étant lié à l’observateur et réciproquement. Marcel Duchamp disait que c’est le regardeur qui fait le tableau. En d’autres termes, l’objet dépend de l’observateur.

Réf : Blog OINM 31/01/2014

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