Référence :
214024
Titre :
Le numérique exotique et somptuaire
Date :
2014
Famille/Série
Observations :
Bibliographie
Le numérique exotique
On n’arrête pas l’innovation. Elle cache un tigre rugissant dans son moteur. Pourtant, Jacques Païtra, un spécialiste du changement social, qui a été notamment président de l’Université populaire fondée par le philosophe français Michel Onfray, affirme qu’aujourd’hui, les études le révèlent, la baisse du désir de consommation le confirme, la production d’imaginaire semble en panne dans tous les secteurs de la société. La foi religieuse est en baisse, aucune idéologie politique ne passionne les foules, les grandes marques ont perdu leur pouvoir de fascination. (…) Seules, ajoute-t-il, les nouvelles technologies et certaines de leurs applications – comme le téléphone portable, le DVD – paraissent échapper à l’étouffement de l’imaginaire par le raisonnable, le mesurable, le quantifiable. Et en effet, dans le domaine du numérique, il est permis de parler de tous les excès et de beaucoup d’illusions. Nous savons déjà que le marché du papier et de l’encre électroniques, qui en font vibrer plusieurs, est plus qu’incertain. Celui du livre électronique a déjà fait couleur beaucoup d’encre rouge, jusqu’à ouvrir toutes grandes les vannes d’investissements financiers perdus d’avance face aux tablettes électroniques. Et que dire des autres inventions du siècle telles que l’écran d’ordinateur qu’on peut rouler comme une feuille de plastique, avec clavier pliable, des lunettes pour regarder la télévision sur la plage ou en faisant son jogging, des robots-pets, du parapluie qui annonce la pluie ou le soleil, des accessoires d’ordinateur et de voiture, et de ces millions de gadgets et d’applications dignes du confort le plus « mou », sans compter la gadgetterie de maison, pour la cuisine, pour le jardin, pour le sexe, pour le vin, pour la plage, pour le camping, pour le sport et pour le bureau, qui brille du style le plus décadent. Chaque designer entrepreneur cherche une niche extravagante de plus pour nous en mettre plein la vue et s’enrichir lors des ventes de fin d’année. Ostentation, luxe et volupté sont devenus numériques. Les nouveaux riches en raffolent.
Certes, le téléphone bracelet, la clé USB en stylo ou en pendentif d’oreille peuvent être des bijoux élégants, avec leur air « branché », mais que penser de l’écran d’ordinateur qu’on porte au cou « pour partager les images », ou du life phone de Marcelo Joulia, extraplat, qui s’ouvre comme un couteau suisse, ou des chaussures GPS ? Créer pour innover, telle est la devise aussi superbe que redondante du designer italien Stefano Marzano! On nous vante des utilités pour le citadin pressé, ou adepte de la nature ou des sports extrêmes! Et on fabrique des gadgets extrêmement fragiles, inutiles et coûteux. La domotique a multiplié les performances de la maison intelligente au service de notre paresse depuis l’époque de Jacques Tati. Avec une carte dorée de crédit, on peut s’offrir tout un éventail de plaisirs hyper-raffinés, qui annihilent toute idée d’effort physique ou cérébral. Ils sont en vente en ligne et même hors taxe dans les pochettes des sièges d’avion.
Déjà Salvador Dali avait créé des montres molles. Et j’ai vu la machine à coudre et à toaster. Bravo pour le surréalisme et sa charge d’inconscient! Mais dans l’industrie, il ne serait pas inutile de confronter les imaginaires numériques aux usages sociaux. À moins d’avoir temps et argent à perdre. Et il semble que ce soit le cas de beaucoup d’innovateurs créateurs qui sont déjà rendus à l’ère du post-virtuel exotique et somptuaire. Le décadent virtuel? Il ne manque plus que le web parfumé. Mais si, cela existe déjà!
Non, vraiment, notre époque ne manque pas d’imagination pour se donner les signes apparents de son bonheur total et achevé. Et ce qu’elle ne peut obtenir ici-bas, elle y accède dans le monde virtuel, où l’on peut satisfaire tous ses désirs : la richesse, la beauté, une vie sociale prestigieuse, un changement d’identité, d’âge ou de sexe, se créer un avatar, s’adonner à la débauche sexuelle, à la violence, aux hallucinations, aux explorations oniriques ou à la magie dans des décors synthétiques somptueusement décorés. Et même harceler des personnes du monde réel, comme dans les rites primitifs de poupées qu’on perce d’épingles. Une permissivité totale, sans effort ni sanction. Mieux que les Romains du Bas-Empire. Le plaisir sans la chute.
Réf : Blog OINM 24/01/2014
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