Référence :
214038
Titre :
L’optimisme de l’intelligence partagée
Date :
2014
Famille/Série
Observations :
Bibliographie
La mode a été depuis longtemps en Occident celle du pessimisme de l’intelligence. Voltaire et son Candide , suite au terrible tremblement de terre de Lisbonne en 1755, ont eu le dessus sur la théorie du meilleur des mondes possibles de Leibniz. Les catastrophes humaines du XXe siècle ont inévitablement aggravé la tendance. Il est très difficile de se voiler la face pour sourire de bonheur, alors que tous les jours nous sommes confrontés à des horreurs humaines et à des catastrophes naturelles intolérables.
La crise du postmodernisme en a tiré des conclusions philosophiques radicales et malheureusement légitimes. On ne croit plus à aucun des grands récits fondateurs de l’Occident, que ce soit celui de Dieu, déjà décrédibilisé en 1755 par beaucoup d’intellectuels, ou celui du Progrès instauré par la Révolution française, mais ruiné par la Shoah.
Nous sommes quelques-uns à opposer l’optimisme de la volonté à ce pessimisme de l’intelligence. Nous ne sommes pas nombreux, il est vrai, car nous passons dès lors pour des naïfs manquant de la lucidité la plus élémentaire aux yeux de intelligentsia. Du moins cela est-il évident dans l’idéologie intellectuelle dominante en Europe et notamment en France. Le constat est moins net en Amérique du Nord, mais, comme chacun sait en Europe, les Américains sont les plus puissants du monde mais pas les meilleurs intellectuels. Je suis de ceux qui célèbrent les mythes conjoints de Prométhée et de Sisyphe, associant la volonté de changer le monde et la résilience de celui qui remet chaque matin sur ses épaules le fardeau des malheurs du monde pour tenter à nouveau de monter vers les cimes.
Mais cette formule qui oppose l’optimisme de la volonté résiliente au pessimisme lucide de l’intelligence demeure très superficielle. Il faut aller plus loin dans la réflexion et admettre que l’intelligence n’est pas par nature ou par définition, ou par expérience et caractère acquis nécessairement pessimiste en soi. Je dirai même que l’intelligence pessimiste demeure simpliste ou élémentaire. Et il faut ici exercer un peu plus les capacités de raisonnement qu’elle nous offre. En effet l’intelligence pessimiste ne mène nulle part, si non à la résignation passive, au nihilisme ou au cynisme. L’intelligence pessimiste est celle de l’échec accepté d’avance comme une tragique fatalité. Les Grecs anciens la connaissaient bien déjà, mais l’attribuaient moins à la raison qu’aux passions humaines destructrices.
Si je constate avec mon intelligence pessimiste que le monde est un scandale permanent – ce qui malheureusement une grande évidence, je devrais en conclure avec mon intelligence lucide qu’il faut donc le changer. Si mon intelligence pessimiste me répond que malheureusement c’est impossible et qu’il faudrait être naïf et stupide pour prétendre y parvenir, mon intelligence devrait me suggérer qu’il est cependant préférable de s’y essayer avec patience et persévérance que de se suicider. Et d’ouvrir l’option de changements lents, chaotiques, mais qui vont globalement dans la bonne direction. Tout n’est pas catastrophique. Tout n’est pas prometteur. Un exercice plus complexe de mon intelligence que ce binarisme simpliste m’amènera à admettre qu’on observe ici quelques progrès et là quelques reculs. Ainsi, en Occident, le progrès de la médecine et de la technologie sont des évidences. Elles demeures matérielles, certes, mais nous constatons aussi des progrès moraux. L’égalité civile grandissante des femmes et des hommes est difficilement niable, ni davantage condamnable. La conscience des valeurs écologiques, l’indignation contre l’injustice se répandent, comme bien d’autres « bonnes pensées » qui s’accumulent et convergent. L’institution des Nations Unies est d’une grande faiblesse et suscite beaucoup de déceptions, mais elle institue un espoir mondial de paix et de progrès humain. L’éthique collective, que j’appelle planétaire est encore d’une grande impuissance, mais l’apparition même de cette idée constitue une divergence majeure face à l’état de nature et à la loi de la jungle.
Si l’intelligence est une capacité d’analyse, elle l’est aussi de calcul. Or le pessimisme ne me donnera jamais rien, ni satisfaction physique ou psychique, ni satisfaction morale, ni progrès collectif. A l’opposé, non seulement l’optimisme est meilleur pour la santé et rend plus heureux, mais l’intelligence la plus élémentaire affirme que tout progrès humain, même partiel, provisoire ou éphémère vaut mieux que rien. Et il invite la volonté à rejoindre l’intelligence pour travailler à renforcer et multiplier ces petits progrès, dont il n’est pas exclu qu’ils finissent par se soutenir les uns les autres, s’arrimer et croître. Celui qui croit que le bonheur est dans l’argent et qui veut devenir riche, sait aussi qu’il faut y travailler chaque jour avec intelligence et calcul, et qu’une accumulation de petits profits pourra produire par effet multiplicateur une grande richesse. Il devrait en connaître la difficulté a priori et ne pas s’entêter à y parvenir, s’il était vraiment intelligent. Mais s’il l’est encore plus que « vraiment » et qu’il y joint la volonté, il devient capable d’y parvenir. Cette observation triviale vaut aussi pour le progrès humain. Bref, un calcul intelligent conclut qu’il vaut mieux travailler à changer le monde et donc croire au progrès, que de jouir cyniquement dans son pessimisme (ce que seuls les nantis peuvent se permettre).
L’intelligence élémentaire est pessimiste. L’intelligence supérieure est nécessairement optimiste et inspire une volonté d’action.
Mais il faut aller encore plus loin dans le raisonnement. Le progrès et l’intelligence individuels sont certes de grandes vertus qui s’imposent. Mais ils demeurent limités. L’utopie de l’hyperhumanisme que je propose suppose qu’ils soient partagés par une minorité d’êtres humains. Elle s’appuie sur la puissance d’une volonté collective de changer le monde et donc sur l’optimisme de l’intelligence partagée.
On peut douter de l’intelligence collective, au sens d’une intelligence augmentée parce que partagée. Mais on ne saurait douter de la puissance d’une intelligence partagée par un plus grand nombre d’êtres humains en faveur, par exemple, du respect des droits de l’homme, une conception qui ne demande pas d’être tous des génies pour être comprise et soutenue.
Une intelligence partagée peut être simple. Il ne faut pas croire pour autant que le nombre de ceux qui la partagent en fera croître le niveau de lucidité ou la capacité d’analyse. C’est plutôt un génie individuel qui aura cette capacité. Je ne crois donc pas à l’intelligence collective, dont nous n’avons pas besoin ici, mais à l’intelligence partagée du plus grand nombre, qui peut nous éviter des catastrophes et soutenir des projets progressistes. Voilà ce que nous pouvons espérer de l’optimisme de l’intelligence partagée, très supérieur au pessimisme de l’intelligence individuelle.
Réf : Blog Hyperhumanisme 26/09/2014
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