Mythe et pensée magique

Référence :
214051

Titre :
Mythe et pensée magique

Date :
2014

Famille/Série
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Observations :

Bibliographie

Le mythe est un récit. La pensée magique est l’interprétation du mythe du monde actuel qui en découle et qui en fait espérer des résultats concrets qui se révéleront irréalistes. La magie est la technique qui en convoque le pouvoir.
Jean Piaget, à qui il faut rendre hommage pour la sagacité de sa vision autant que pour la qualité de ses observations cliniques sur le développement psychique de l’enfant, nous aide à comprendre que la pensée de l’enfant est avant tout magique. Son épistémologie génétique est un monument aujourd’hui trop négligé. Je ne reviendrai pas ici sur les différentes étapes de la construction de la pensée chez l’enfant, qu’il a cru pouvoir établir en suivant de près l’évolution de ses trois enfants. Ce qui me paraît le plus intéressant chez Piaget, c’est son idée selon laquelle l’enfant développe avant tout une pensée magique. Et contrairement à lui, j’observe à quel point la pensée magique qui se constitue pendant la « période sensorimotrice » (0 à 2 ans), demeure dominante pendant la « période préopératoire » (2 à 6 ans), pendant la « période opératoire » (6 à 12 ans) et bien au-delà, au cœur même de l’âge adulte. Certes, l’enfant construit une logique, une symbolique, des stratégies pratiques, qui assurent son adaptation pragmatique. Mais il ne cesse aussi d’imaginer le monde qui se présente à lui sans mode d’emploi préétabli. Il le fabule, l’anime de forces amies ou ennemies, d’esprits. dans ses jeux, il imagine que son ourson, sa poupée, ses voitures, sont vivants et ont des sensations et des pensées. Il projette ses émotions et ses sentiments sur tous les objets qui l’entourent; il fait voler son avion en le tenant dans sa main, lance ses soldats dans la bataille en les déplaçant lui-même, les fait tomber pour les tuer; il joue à cache-cache derrière ses mains. Il vit et agit dans un monde magique dont il invente et applique les règles avec la plus totale conviction. Ce n’est que peu à peu qu’il introduira le principe de réalité, la logique de l’identité ( un objet ne peut pas être pris pour un autre), et rationalisera plus objectivement, « refroidira » l’imaginaire qui faisait palpiter magiquement tout ce petit cosmos.
Cette domination de la pensée magique que note Piaget dans les premières périodes de la croissance mentale de l’enfant, c’est bien, dit en d’autres termes, si je passe de l’épistémologie génétique à la mythanalyse, ce que j’appelle les stades successifs de la fabulation mythique du monde. Née avec le principe de désir, elle s’hybride peu à peu avec le principe de réalité, certes, mais la pensée magique ne disparaît pas pour autant: elle se transforme, invente de nouvelles forces avec lesquelles composer, qu’il faut s’allier ou combattre. Elle trouve dans les jeux et notamment dans les jeux vidéo de nouveaux champs d’expression et de conquête. La pensée magique, la fabulation mythique ne cessera jamais, même dans la vie sociale adulte, professionnelle, dans les loisirs, dans la vie familiale, dans l’économie, la guerre, l’amour, le sexe, la consommation et jusque face à la mort.
Jean Piaget était un épistémologue suisse et sérieux, dédié à ses activités cliniques, académiques, institutionnelles. Il a limité à l’enfance l’âge de la pensée magique et n’a pas voulu penser que cette pensée magique développée dans les premières étapes de l’enfance se prolongerait dans un âge adulte qu’il voulait adapté: opératoire et rationnel, en rupture avec l’enfance. Il n’a pas pensé non plus que cette pensée magique ne se limitait pas à la saisie des objets, dans une période d’apprentissage sensorimoteur puis opérationnelle. Elle est en fait l’expression de proximité d’interprétations mythiques beaucoup plus larges de la totalité du monde qui naît à l’infans. La magie est toujours une technique fondée sur une cosmogonie qu’on veut comprendre, s’approprier, maîtriser et qu’on interprète selon des récits qui expriment les mythes fondateurs de l’univers.
Il faut reconnaître la perspicacité de Jean Piaget, la qualité de ses intuitions et de ses observations cliniques. Il était encore un homme du rationalisme classique. Mais il a su fonder sur la biologie en temps réel le développement de la pensée magique, comme je fonde la mythanalyse sur la biologie et non sur des grimoires moyenâgeux ou des mémoires archaïques. Ce sont précisément les périodes successives du développement de l’enfant, sensorimotrice, préopératoire, opératoire,etc. qui déterminent l’évolution de la création mythique chez l’infans. Peu importe que je les aie diminuées en nombre, car on peut toujours mener des analyses plus segmentaires et il faut aussi tenir compte de la diversité des rythmes d’évolution selon les enfants. Ce sont des périodes d’évolution physiologique et cérébrale qui sont les facteurs de développement mythique. Là est le point commun important, même si je ne distingue pas comme Piaget une période « symbolique » après la période « opératoire », car je fais plutôt l’hypothèse que la pensée de l’infans est symbolique dès le début et ne cesse de l’être. Ce n’est pas un stade plus avancé de développement, mais un constante de la pensée. Et je n’entrerai pas ici dans un débat académique sur les distinctions de sens du mot « symbolique », Je n’en ai pas besoin pour mon propos.
C’est incontestablement la crise de la postmodernité qui a permis de penser et de théoriser la mythanalyse; et donc de reprendre en termes nouveaux, mythanalytiques, l’épistémologie génétique de Piaget pour situer l’origine des mythes.
J’avoue aujourd’hui n’avoir pas lu assez attentivement Piaget lorsque j’étais étudiant, attiré par d’autres problématiques moins psychologiques; je ne le regrette pas aujourd’hui parce que cela m’aurait sans doute retenu dans une épistémologie génétique rigoureusement segmentée et éloigné de la divergence mythanalytique que je cherchais. Mais peu importe aujourd’hui, sous réserve de reconnaître son apport exceptionnel tant en thérapie psychologique qu’en épistémologie et extrêmement original pour son époque.
Réf : Blog Mythanalyse 01/11/2014
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