Référence :
214078
Titre :
La genèse langagière des mythes
Date :
2014
Famille/Série
Observations :
Bibliographie
Comment naît un mythe? Avec la naissance. Notre pensée demeure toujours métaphorique. Et les noms mêmes des figures qui incarnent nos mythes sont d’origine logique et conceptuelle. Rappelons ici que nos concepts sont des images et, comme le soulignait Lacan, que nos noms, patronymes ou prénoms, contribuent à nous programmer. Nous l’avons souligné précédemment, le nom de la première femme, Pandora, que nomme Hésiode, signifie en grec qu’elle est un « don de tous les dieux ». Prométhée et celui qui pense avant, tandis qu’Épiméthée, son frère, est celui qui pense après. Le temps de l’homme est ambivalent, à moitié en avance sur le présent, par projection, (la pensée rapide, le progressisme), à moitié en retard sur le présent (la pensée lente, le conservatisme). De même, Dieu, c’est Deus, du latin, Dyus, Zeus, Theos en grec ancien, le Jour en français. L’origine indo-européenne du mot Dieu renvoie à dy-ēu-, issu de la racine indo-européenne dei qui signifie « briller ». Elle est également à l’origine du sanskrit द्याउः /dyāuḥ, signifiant « ciel lumineux ». On le voit, le mythe de Dieu renvoie à l’image de la lumière, au Soleil que révéraient les Incas, à notre espoir quotidien de voir la lumière apparaître. Mais c’est surtout la première sensation que perçoit le nouveau-né du monde qui naît à lui. La genèse du monde, pour lui, c’est la lumière qu’il voit émerger et qui va peu à peu percer ses paupières jusqu’à ce qu’elle lui devienne familière: le monde naît à lui dans la lumière qui se précise, se dessine en formes étranges qu’il doit séparer de son corps et interpréter. Il ne faut pas chercher plus loin.
Et l’étymologie érudite peut révéler chaque fois l’image qu’incarne chaque figure mythique. Ainsi Adam vient de l’hébreu et désigne la terre, tandis qu’Ève est la vie. Nous oublions que Sainte Véronique, c’est la femme pieuse qui donnant son voile au Christ portant sa croix sur le Golgotha pour qu’il essuie son visage, a découvert, lorsqu’il le lui a rendu, que son voile gardait pour nous une impression de la vraie image du Christ : vera iconica.
Ce ne sont que des mots abstraits et logiques, logos, mais qui donnent lieu à des récits, mythos, mettant en scène le réel et l’interprétant. Or il n’y a pas de logos sans mythos. Et ces mots/mythes sont si porteurs de réalité, si puissants tout à la fois logiquement et réellement (mythiquement), qu’il devient éventuellement, comme dans les mots magiques, dangereux de les prononcer, de les représenter ou de les regarder, voire de manger la pomme ou d’ouvrir la jarre. Les mythes imposent des interdits. Le mythe d’Orphée nous raconte comment Orphée perd Eurydice en se retournant pour la regarder (il a perdu la foi dans la promesse d’Hadès en n’entendant plus les pas d’Eurydice invisible – qu’il n’a pas le droit de regarder). Quiconque osait regarder une Gorgone grecque mourait immédiatement pétrifié. Dans le judaïsme le tétragramme héraïque YHWH (יהוה) qu’on écrit couramment Yahweh, est interdit de prononciation: « Tu n’invoqueras pas le Nom de YHWH ton Dieu en vain » (Ex 20:7). Dans la religion islamique, toute représentation de Dieu est proscrite. Nous ne sommes pas dignes de le penser, ni de l’imaginer visuellement, ni de le représenter. Seul demeure le concept lointain et insaisissable de la lumière. Cet exemple est important pour que nous comprenions que la genèse du nom même des figures qui incarnent nos mythes est avant tout langagière et abstraite (tirée de…). Ce sont des concepts que nous imageons éventuellement avec des mots, et dont nous inventons des récits explicatifs, mais il demeure que les mythes ne sont que du langage.
Ainsi, la mythanalyse de la Nature, du Progrès, de la Raison ou de l’Histoire ne met pas en évidence de belles déesses de marbre, ni des héros armés ou des serpents ailés. Ces mythes demeurent des idées auxquelles nous attribuons un pouvoir génératif, créatif, d’où naîtra le monde que nous espérons. Nous imaginons que la Raison éclaire (comme Dieu) la vérité. Nous croyons que l’Histoire mettra en œuvre la réalisation du Progrès. Nous pensons que le Progrès (étymologiquement la marche en avant) donnera un sens à notre errance humaine qui deviendra l’Histoire, la concrétisation téléologique de notre but final (que nous inventons, comme Marx ou comme Teilhard de Chardin ).
Et cela nous permet de revenir à notre interprétation mythique de la fille, comme nous en avons une du fils, Prométhée, mais qui soit différente de la Pandora d’Hésiode ou une Pandora – et une Ève – réécrites, réinterprétées positivement. Lorsque la mythanalyse appelle à réécrire le mythe misogyne gréco-biblique de la femme dans notre inconscient occidental, elle ne propose pas de faire des femmes d’aujourd’hui des déesses, ni des Amazones, mais simplement de construire de la femme une image nouvelle, qui soit porteuse d’avenir (qui accouche l’avenir), emblématique de liberté créatrice, égale à celle de Prométhée. Il ne s’agit pas d’inventer une mythologie factice ou pittoresque, avec des allégories, mais de formuler une croyance nouvelle, certes abstraite ou théorique, mais capable dans notre inconscient collectif et dans notre idéologie aujourd’hui encore machiste, d’introduire cette égalité équitable et requise entre la femme et l’homme dont nous bénéficierons tous. Et cela n’implique aucunement, bien au contraire, d’uniformiser les sexes. Nous tirons le plus grand avantage de la différence biologique, mais aussi psychique et intellectuelle qui existe entre les deux sexes. C’est là certainement un grand avantage des espèces sexuées par rapport aux autres: il en résulte une dynamique et une diversité biologique et mentale beaucoup plus créatrice.
Réf : Blog Mythanalyse 07/03/2014
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