Référence :
212075
Titre :
La divergence numérique
Date :
2012
Famille/Série
Observations :
Bibliographie
IBM a développé un superordinateur, qu’il a appelé Watson, capable, nous dit-on, de répondre en langage naturel à toutes les questions qu’on lui pose. Sans doute Sherlock Holmes, s’il était encore avec nous, aurait réagi selon son habitude : « Elémentaire, mon cher Watson » (Le retour de Sherlock Holmes, un film de 1929). Le numérique n’était encore en 1969 qu’une affaire de spécialistes, une zone réservée de la recherche militaire la plus secrète. Il s’est étonnamment répandu, banalisé depuis. Près de 30% de l’humanité sera bientôt connecté à l’internet. Depuis 1995, le web s’est répandu comme un tsunami numérique sur la planète. Nous n’étions en 1995 que vingt-six ans après l’exploit d’Apollo 11. Moins que l’espace d’une génération.
C’est le 2 septembre 1969, qu’est né l’internet. En fait, ce n’était alors encore qu’une communication laborieuse et limitée entre deux ordinateurs reliés par un câble de 4,50 m de longueur, à l’université de Californie de Los Angeles. Puis on a élargi les distances en reliant des ordinateurs situés dans les universités de Stanford, Santa Barbara et l’Utah. On peut en discuter la date, mais il faut souligner le rôle de Licklieder, du MIT, qui eut la vison de l’importance de ces futurs réseaux de communication. On doit citer aussi Leonard Kleinrock, qui théorisa dès 1961 la commutation et la transmission d’informations par « paquets », Paul Baran et Douglas Engelbart, dont nous allons reparler. Les auteurs sont plusieurs. Ce fut une histoire militaire autant qu’universitaire, comme le rappelle la signification d’Arpanet, créé par la Defense Advanced Research Projects Agency pour assurer la sécurité de ses communications en temps de guerre grâce à un réseau (network) décentré et multipolaire, qui deviendra notamment le MILnet (Military Network).
Voilà 60 ans aussi, que Douglas Engelbart a inventé au Stanford Reearch Institute la fameuse souris dont nous nous servons encore aujourd’hui pour déplacer le curseur sur nos écrans d’ordinateur. C’était un mécano élémentaire dans un boîtier en bois. Il n’en reçut aucun dividende financier, mais le SRI vendit le brevet à Apple qui a donné à ce petit rongeur à queue numérique l’expansion que l’on sait. On attribue aussi généralement à Engelbart le concept d’intelligence collective, dont il a exposé la philosophie dans Augmenting Human Intellect: A Conceptual Framework.
Aujourd’hui, seulement deux générations plus tard, alors que nous comptons plus d’un milliard d’ordinateurs connectées sur la planète à l’internet grâce au Web et au sans fil, et encore beaucoup plus de téléphones intelligents il est bon de rappeler que c’est avec un câble de 4,50 m que tout a commencé. De petites inventions peuvent avoir un impact immense sur toutes nos activités humaines en quelques décades. C’est cela qui caractérise l’évolution de notre espèce, avec l’accélération que nous expérimentons à l’époque actuelle.
Les technologies numériques nous permettent de développer de nouveaux paradigmes, ceux de la nature, de la vie, de l’intelligence et de la mémoire artificielles. Nous passons de la domination de la biosphère à des utopies numériques de conception humaine. Je ne suis certes pas de ceux qui proposent de généraliser la loi de Moore (la puissance, la mémoire et la vitesse de nos ordinateurs doublent tous les dix-huit mois) à l’évolution humaine. Mais le numérique prend manifestement la place la Nature aussi bien que de Dieu dans notre conception de l’avenir.
Devons-nous pour autant mettre une majuscule au numérique et en faire une nouvelle religion, comme plusieurs gourous actuels ? Dieu nous garde de toute religion et de leurs faux prophètes, même s’ils sont reconnus et célébrés à l’envi. Les êtres humains faibles d’esprit ont toujours tendance à renoncer à leur liberté de pensée et à leur dignité, pour s’en remettre à une intelligence supérieure, qu’elle soit naturelle, divine, ou aujourd’hui numérique et s’y soumettre.
Cela tient sans doute au fait que le numérique acquiert à un rythme exponentiel un pouvoir instrumental d’interprétation et de transformation de l’univers, qui est totalement inédit. Nous sommes passé de la chasse et de la cueillette à l’agro-industriel, de l’exploitation des ressources naturelles à la modélisation numérique, du naturel à l’artificiel, de l’idée d’adaptation à celle de la divergence. Nous nous rendons réellement, selon l’expression si connue de Descartes, « maîtres et possesseurs » de la nature. C’est là véritablement une nouvelle révolution copernicienne.
Réf : Blog OINM 25/06/2012
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