Référence :
212078
Titre :
Une question nouvelle
Date :
2012
Famille/Série
Observations :
Bibliographie
Une thérapie mythanalytique est-elle pensable ?
Peut-on user de la mythanalyse comme de la psychanalyse ou de la psychologie dans un but de thérapie individuelle? Ou la mythanalyse se limite-t-elle à une science humaine des imaginaires sociaux, une sorte de sociologie théorique des imaginaires collectifs?
A priori la mythanalyse traite des inconscients sociaux et n’a ni compétence, ni méthode, ni expérience dont se prévaloir au niveau individuel. D’ailleurs on rappellera que cela ne s’est jamais fait. La mythanalyse, objectera-t-on encore, à supposer même que ce soit une science humaine, ce que la plupart contestent, ignorant même son existence, ne saurait être une thérapie, pas plus que la sociologie. Ce serait seulement une science d’observation et d’interprétation.
Pourtant, j’en ai usé pour moi-même et en apprécie aujourd’hui les excellents résultats. Faut-il s’étonner que la mythanalyse puisse avoir un impact individuel alors qu’inversement la théorie psychanalytique met en scène des figures collectives, tels que totem, tabou ou archétypes et en use dans les analyses individuelles? Personne ne soutiendra que l’inconscient personnel est sans relation avec l’inconscient collectif, et réciproquement. Et il serait difficile de nier l’impact des grands mythes, comme Dieu ou le Progrès, et des imaginaires sociaux sur chacun de nous. Cette dimension sociale des inconscients individuels est une évidence que les lacaniens ou les ethnopsychanalystes nous ont appris à prendre en compte.
Repérer les mythes actuels les plus déterminants d’une société, c’est ce que fait la mythanalyse, et elle intensifie ainsi la conscience sociale des imaginaires sociaux qui nous influencent.. Mais elle ne se limite pas à ce constat. J’ai toujours insisté sur la possibilité supplémentaire qu’elle nous donne d’évaluer les mythes en fonction de leurs effets positifs ou destructeurs. Ainsi, une société postmoderne accuse un grave déficit de croyance en elle-même, qui peut devenir dévastateur collectivement tout aussi bien qu’individuellement. On sait d’expérience qu’une société colonisée ou vaincue tend à s’autodétruire. Elle cultive alors les figures inconscientes de l’échec, de la faiblesse. Cela est arrivé fréquemment et j’en ai encore la mémoire lors des deux échecs référendaires québécois. De même, tout parti politique en fait l’expérience lorsqu’il doit encaisser une cuisante défaite électorale.
La mythanalyse ne peut allonger la société sur le divan, mais elle peut elle aussi créer une prise de conscience salvatrice des forces et des faiblesses de son imaginaire et de ses mythes, voire donner des avertissements ou des conseils d’orientation. Tout le monde le fait tous les jours, notamment en politique et dans tous les débats sociaux. On demandera alors selon quelles valeurs la mythanalyse mènera-t-elle son évaluation et son diagnostic ? La question vaut aussi pour les psychanalystes ou les psychologues. Conformisme, esprit libertaire? Un débat s’impose, certes, mais qui n’est pas plus rédhibitoire pour la mythanalyse que pour la psychanalyse. Toutes deux visent à faire cesser la souffrance et à rétablir un processus vital dynamique.
Alors quelle méthode adopter en mythanalyse? Le principe d’une thérapie mythanalytique consiste à mener un dialogue avec le patient qui lui fasse prendre conscience des principaux mythes auxquels croit, selon lui, la société avec laquelle il s’identifie – par exemple dieu, ou le futur, la loi du plus fort, le progrès, le libéralisme, le socialisme, le conservatisme, l’amour, la justice, le destin, la fatalité, le travail, la nature, etc. Et pour compléter cette prise de conscience, le mythanalyste lui demandera aussi de nommer les valeurs, mythes ou projets auxquels sa société, selon lui, ne croit pas, par exemple le néolibéraslisme, l’athéisme, la justice sociale, l’indépendance, le sport, le racisme, la guerre, etc. Cette première partie de l’analyse peut être longue et demande de la finesse pour repérer les déclinaisons fines de ces grandes figures mythiques et de leurs attributs.
Dans une deuxième étape, le mythanalyste invitera le patient à évaluer ces mythes, pour les classer comme positifs ou négatifs, porteurs ou destructeurs. Et à se demander en quoi telle ou telle valeur est positive ou négative; par exemple peut-on être réaliste et optimiste à la fois. Le pacifisme implique-t-il une tolérance extrême? Le dialogue aboutira à préciser et évaluer des configurations mythiques meilleures ou périlleuses et à analyser leurs articulations et leurs effets.
La troisième étape visera à faire évaluer par le patient quels sont les mythes collectifs de sa société d’appartenance auxquels il croit lui-même et ceux qu’il rejette. Nous aurons alors un portrait de l’impact de l’inconscient collectif sur l’inconscient individuel du patient.
A partir de ce stade, la thérapie consiste à dialoguer avec le patient pour lui faire prendre conscience de son équation mythanalytique individuelle (identifications et écarts avec les mythes dominants de sa société). Nous découvrirons avec lui quels sont les liens entre ses attitudes personnelles, optimiste, volontariste, défaitiste, fataliste, rebelle, conviviale, etc. et les figures mythiques de sa société d’appartenance.
En bout de course, le dialogue consistera à faire prendre conscience par le patient du fait qu’il est « sous influence » des mythes identitaires de sa société ou en réaction contre eux . De sorte qu’il lui appartiendra de désigner les mythes qui lui ont fait du mal et ceux qui pourraient lui redonner les énergies vitales dont il a besoin pour restaurer sa volonté-monde positive.
C’est en apprenant à devenir lui-même mythanalyste que le patient acquiert la capacité de se libérer de mythes toxiques et à adopter des mythes bénéfiques. Bref, le patient élucide des façons de penser et les valeurs sociales qu’elles véhiculent, pour repenser et reconstruire ses valeurs propres.
Ce n’est ici qu’une première esquisse du cheminement d’une thérapie mythanalytique, telle que j’en ai fait l’apprentissage dans ma propre vie pour me libérer de ma névrose d’enfance, individuelle certes, mais surtout familiale et sociale, qui était liée aux imaginaires sociaux dans lesquels je baignais, celui de la guerre, car je suis né à Paris en 1941, mais aussi le dolorisme chrétien de ma mère, le stoïcisme de mon père, la peur du malheur et de la mort qui nous menace sans cesse comme une épée de Damoclès terriblement présente (du fait d’une grande mortalité dans ma famille). De cette morbidité, je me suis libéré en me confrontant au réel, à mes peurs dans la pratique de l’art sociologique, en consacrant mes efforts de sociologue à développer une compréhension des mythes collectifs, en construisant une théorie de la mythanalyse, et finalement en reniant les mythes qui m’avaient pesé, pour en adopter d’autres, qui me permettaient de me réconcilier avec le monde et avec moi-même.
Sur ce dernier point, il ne s’agit là aussi que d’une esquisse. Mais je sais que le vouloir-vivre qui était en moi m’a permis de découvrir cette volonté-monde dont je fais aujourd’hui le grand mythe porteur de mon interprétation de l’ univers. J’en espère, moi qui étais suicidaire dans mon enfance, de nombreuses années encore à vivre avec le meilleur de ma force vitale Quel retournement! Et je sais maintenant pourquoi j’ai quitté la névrose endémique de la société française à quarante ans pour émigrer au Québec. Je pensais y chercher, comme artiste et sociologue, un autre scénario sociologique, capable de me questionner et de renouveler mes intérêts théoriques. Mais ce que je suis venu surtout y chercher inconsciemment, ce que j’ai trouvé en Amérique du Nord , c’est une autre configuration mythique qui m’a libéré du mal français et m’a permis d’adopter la croyance collective au progrès et au bonheur possibles.
La difficulté d’une analyse, qu’elle soit psychanalytique ou mythanalytique, c’est qu’une partie de la solution consisterait à changer de scénario de vie, celui qui a à l’origine du mal. Si le patient ne change pas de milieu familial ou de configuration mythique, il risque fort de ne pas pouvoir se libérer des causes qui entretiennent son malaise, même s’il en a pris conscience.
Une thérapie mythanalytique est-elle possible?. Une voie me paraît s’ouvrir au niveau théorique et lorsque j’analyse mon propre cheminement, qui ne devrait rien avoir d’exceptionnel.
Réf : Blog Mythanalyse 25/06/2012
URL
|