Le clapotis du web

Référence :
212091

Titre :
Le clapotis du web

Date :
2012

Famille/Série


Observations :


Bibliographie

Une Atlantide liquide
Les précieux dossiers, les idées géniales, les images créatrices que nous confions au clapotis du web, ont une espérance de vie fragile. Leur vieillissement prématuré est flagrant. Le cybermonde est plein d’épaves qui flottent à la dérive sur les réseaux numériques. Et l’océan du cybermonde engloutit dans ses cimetières marins et ses gouffres abyssaux les sites web à peine nés, dont on perd déjà la mémoire. Les années se succèdent au rythme des seuls printemps. Se mêlent à ces milliards de pages Web disparues à jamais, d’autres milliards de courriels, de textos, de photos numériques, de données, d’archives, qui ne laisseront pas le moindre fossile pour la postérité dans les sédiments du web. Les arts numériques des années 1980, 1990, 2000, 2006, 7, 8 ne sont déjà plus que des fantômes d’eux-mêmes, des descriptions, des articles de revues, des vidéos, quelques photos d’écrans ou d’installations difficilement recensés et sans commune mesure avec les œuvres qu’ils évoquent. Le cybermonde est plein de continents perdus. Un nouvel Atlantide y disparaît au fur et à mesure qu’il se forme par simple renouvellement constant des vagues de 1 et de 0, sans faire plus de bruit que le clapotis de l’eau, sans même que des big crushs soient nécessaires pour hâter son effondrement liquide.
C’est un paradoxe bien étrange que ce rythme de disparition constante du cybermonde, dont l’horizon avance devant nos voiles, sans que nous puissions regarder en arrière, comme dans le mythe d’Orphée. Et s’il existe une Méduse du cybermonde, elle ne pétrifie pas les aventuriers qui regardent le passé, mais les liquéfie à jamais. Les archéologues futurs qui fouilleront les dépotoirs d’aujourd’hui en quête d’une culture glorieuse et innovatrice du passé y découvriront des couches de sédimentation informatique de plus en plus fines comme un feuilleté de plastiques et de métaux lourds comprimés, mais aucun contenu. L’archéologie du numérique s’annonce comme une tâche impossible.
Réf : Blog OINM 20/07/2012

Les sociétés écraniques (2)
L’application qui nous propose de transformer notre iPhone en miroir, par exemple pour se maquiller, ne fait qu’activer la caméra intégrée, qui nous regarde et nous filme. L’écran est un miroir humain, social, politique. Le réel s’est dissout simultanément dans les écrans des laboratoires de physique et de biologie, qui n’affichent plus que des fichiers numériques du réel. Toute notre connaissance astrophysique actuelle, la plus pointue, la plus instrumentale, se réduit paradoxalement à de l’imagerie scientifique. Les perceptions tactiles ou à l’œil nu n’ont plus de valeur scientifique aujourd’hui. Toute notre connaissance est produite par des appareillages électroniques et des programmes algorithmiques.
– Le mythe de la surface. La réflexion impliquait jadis de la profondeur de pensée. La superficialité était une faute de l’esprit. On creusait la vérité, on explorait les arcanes de l’âme. La psychologie elle-même avait établi une topologie des profondeurs, et la psychanalyse freudienne retournait les pierres de nos traumatismes enfouis dans l’obscurité caverneuse de l’inconscient. C’est Lacan qui a fait remonter l’inconscient et la psychanalyse à la surface, comme un plongeur qui donne un coup de talon, réduisant cette épaisseur des couches de la psyché à la surface du langage et des jeux de miroir de la société. Surfant sur la toile de la communication, il s’est intéressé aux mass media, où l’esprit dérive comme un bouchon au gré des ondes. Perte de quille, perte de racines, perte de profondeur : pourquoi pas? Au risque de l’obscurantisme émotif.

Déréalisation et nomadisme vont de pair, mais cumulent leurs effets psychologiques, qui se traduisent en une déchirure dramatique de la conscience par rapport à ses repères antérieurs. Non seulement l’homme renonce à son unité profonde, intégratrice avec le monde, dont il jouissait dans les cosmogonies primitives, mais il perd aussi le sens du réel, de la gravité qui assurait son équilibre, et les racines où il puisait sa sève. Il passe d’une identité psychologique à une identité électronique. C’est cette même apesanteur fantasmatique et vertigineuse, qu’on retrouve dans les métaphores du cybermonde, et qui est une sorte de catastrophe ou de précipitation ontologique.

Réf : Blog OINM 31/01/2014

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