Le liquide amniotique

Référence :
212097

Titre :
Le liquide amniotique

Date :
2012

Famille/Série


Observations :


Bibliographie

L’immersion numérique liquide
Nous retrouvons cette même métaphore aquatique et maritime, que j’ai souvent évoquée, dans le désir fondamental d’immersion des constructions en 3D, des salles de cinéma IMAX 3D interactif, ou des satosphères. L’obsession, qui était déjà évidente depuis longtemps dans les images stéréoscopique, est encore plus complète et achevée dans les installations artistiques avec casques-écrans d’immersion et gants de préhension virtuelle, ou dans les espaces immersifs CAVE (Cave Automatic Virtual Environment, dispositif inventé en 1991 par Dan Sandin à l’Electronic Visualization Laboratory (EVL) de Chicago). Ces techniques, développées pour des usages militaires et industriels, et même de chirurgie robotique à distance, ont été reprises par des artistes tels que Jeffrey Shaw (The legible city, réalisé avec Dirk Groeneveld,1989), Matt Mullican (Five to One, 1991), Petra Gemeinboeck (Uzume, en collaboration avec Roland Blach du Fraunhofer Institut, 2000), Char Davies (Osmose, 1995) et Maurice Benayoun ( de nombreuses installations immersives, préfigurant World Skin, produit pour Ars Electronica avec me musicien Jean-Baptiste Barrière, 1997). Le spectateur appareillé, comme avec un scaphandre de plongée, devient un plongeur dans les profondeurs d’un espace virtuel où il a l’illusion de se déplacer librement et de toucher ou de saisir des objets eux-mêmes immergés. Il est donc non seulement visiteur, mais en interaction avec ce monde virtuel liquide. En bougeant, ou seulement en tournant la tête, il éprouve des sensations de « plongée » ou de « contre-plongée ». L’expérience devient quasi corporelle et imite les repères habituels du monde matériel. C’est sans doute Char Davies qui a repris le plus systématiquement les sensations d’une expérience de plongée sous-marine, limitée, par exemple, à quinze minutes, et évoquant les perceptions d’équilibre, de respiration du plongeur, voire d’ivresse des profondeurs, dans ce qu’elle appelle significativement une « immersence ». C’est d’ailleurs par une forte respiration du plongeur qu’elle fait passer celui-ci d’un environnement à un autre (de la profondeur d’un arbre, de la pénétration dans une forêt, dans une feuille, dans une mare, jusqu’à l’irréalité d’une « zone abyssale »). La plupart de ces espaces immersifs liquides donnent lieu non seulement à des perceptions spécifiques, mais aussi à des scénarios narratifs détaillés conçus par les artistes et qui contribuent à préciser les sensations de plongée.
La notion d’immersion liquide que j’évoque ici est explicite dans les nombreux textes des artistes eux-mêmes et de leurs commentateurs, notamment universitaires, dont je me suis inspiré dans ces descriptions. On les retrouvera aussi dans le livre collectif publié sous la direction de Michael Benedikt Cyberspace First Steps (MIT Press, 1991). Outre les textes de William Gibson, de Michael Benedikt et de Carl Tollander, je citerai ici les titres hautement significatifs des articles de Michael Hein, The erotic ontology of Cyberspace, et de Marcos Novak, Liquid architectures in cyberspace.
Nous avons cité des expériences extrêmes et qui demeurent exceptionnelles dans les arts numériques. Mais c’est la même métaphore d’immersion que nous proposent, à des degrés moindres, ou même ordinaires, les innombrables logiciels de création en 3D incroyablement puissants et sophistiqués qui sont aujourd’hui disponibles pour la simulation industrielle et scientifique ou pour les jeux vidéo. Le simulacre numérique est un espace de plongée qui vise la perfection d’une fluidité lisse et totalement immersive comme celle d’un espace liquide, sans discontinuité. Nous y sommes au-delà des trois dimensions orthogonales, dans un espace courbe et euphorisé, comme si nous étions en apesanteur. Nous y découvrons un monde aussi déréalisé et immunopolitique que le monde sous-marin tel que nous le célébrons, ou aussi innocent que l’utérus maternel pour le fœtus. Rares sont les artistes qui y introduisent, comme Maurice Benayoun, des dimensions critiques rappelant à la conscience du plongeur notre monde réel de violence.
Réf : Blog OINM 11/07/2012

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