Référence :
214097
Titre :
Nous sommes tous tagués
Date :
2014
Famille/Série
Observations :
Bibliographie
Nous avons tous des cookies dans nos disques durs, qui permettent non seulement d’afficher rapidement les sites web que nous voulons consulter, mais qui installent aussi des robots espions dans notre propre maison et informent leurs répondants de nos activités.
Nous sommes ainsi tagués – c’est-à-dire indexés – par Google et autres moteurs de recherche, qui nous géolocalisent et qui prétendent nous faciliter la vie et les communications, en construisant notre « profil » à partir des archives constamment actualisées de nos navigations et donc de nos centres d’intérêts. A cela s’ajoutent nos déplacements, qu’enregistre notre téléphone intelligent, nos achats, qu’inscrivent nos cartes de crédit, et bientôt les lunettes Google +, qui garderont la mémoire de ce tout que nous voyons. Et que le Diable protège ma vie privée du marketing Facebook ! C’est ainsi que nous alimentons nous-mêmes sans trop y penser des banques de données personnelles, voire intimes sur nos habitudes de consommation, nous goûts et nos comportements. Et lorsque nous utilisons les services de courriel de Microsoft, Google, Apple, etc., ce sont nos propres courriels qui sont tagués et indexés. Nous nous félicitons alors que les moteurs de recherche les retrouvent, à notre demande, en un dixième de seconde. Google nous offre même de jouer au moteur de recherche sur notre propre disque dur. On appelle cela désormais « la transparence » et on la vante !
Et pour mieux nous servir, Google nous a annoncé que désormais la compagnie simplifiait la multiplicité de ses politiques de confidentialité liées chacune à une utilisation spécifique de ses fonctionnalités : nos navigations avec Chrome, nos recherches sur YouTube, nos courriels sur Gmail, nos blogues, nos données sur Google+, le calendrier-agenda Google, Google Maps, Google View, etc. sont rassemblés tous dans un seul et même cadre réglementaire de gestion et de respect affiché de notre vie privée, sans en changer les termes. Une simplification normale et bienvenue ? Oui, mais aussi désormais la réunion pour chacun de nous de toutes nos données colligées dans un seul et même profil individuel. Google nous le présente comme un grand avantage pour chaque usager. Ainsi, peut-être pourrons-nous vous signaler que vous risquez d’être en retard à un rendez-vous, en tenant compte de votre localisation, de votre agenda et des conditions de circulation, nous annoncent triomphalement les responsables de Google, qui font ainsi l’aveu de leur pouvoir de centralisation d’informations personnelles.
Face à ces belles intentions le Consumer Watchdog, l’association américaine de défense des consommateurs rétorque vigoureusement : Appeler ça une politique de confidentialité, c’est du double langage (…) Google ne vous dit pas qu’il va protéger votre intimité. Il vous explique comment il va rassembler des informations sur vous à partir de tous ses services, combiner tout cela et utiliser ce gros dossier numérique pour vendre plus de publicité. (Il faut rappeler ici que Google est devenue la plus grosse compagnie de publicité au monde, et qu’elle contrôle déjà 40% du marché mondial). Bien sûr, ce ne sont que des robots qui font le travail, anonymement; et si nous en sommes conscients, voire préoccupés, nous pouvons désactiver ces fonctionnalités en cherchant dans les menus. Mais nous oublions de le faire. Lorsque nous effaçons nos cookies et notre historique de navigation, nous ne savons pas si les moteurs de recherche le font aussi. Et nous recommençons le jour même à accumuler les données et à reconstituer nos profils.
Faudra-t-il disperser nos outils, utiliser le moteur de recherche de Google, le serveur de courriels de Apple et le Skype de Microsoft pour empêcher que se constitue un dossier ou profil centralisé sur chacun de nous ? Nous avons un sentiment d’impuissance. Certains se résignent à cette transparence qui semble inévitable et finalement peu dangereuse. Mais nous savons que les effets peuvent en devenir pervers si ces banques de données passent entre de mauvaises mains, celles de dictateurs, de criminels, de prédateurs, ou simplement de commerçants avides de marketing ciblé. Tous les jours nous apprenons que des hackers ont réussi à s’accaparer des bases de données dans des services publics, des compagnies de cartes de crédits, des banques, avec des milliers de données personnelles sensibles. Bien sûr, nous comptons sur l’État pour nous protéger. Mais il est encore sous-équipé pour nous soustraire à ces harcèlements, vols d’identité, violations de notre vie privée et fraudes en tout genre qui nous guettent sans cesse. Et ce n’est pas sa priorité, car la police use aussi de ces techniques, supposément dans de bonnes intentions.
La STASI n’existe plus. Mais la démocratie est encore rare sur notre planète. Et il existe encore des centaines de petites stasi, que les outils numériques rendent invisiblement très efficaces. Lorsqu’on rêve de démocraties numériques, on devrait aussi cauchemarder en pensant à la généralisation insidieuse de ces petits robots numériques qui sont essentiels à tous les moteurs de recherche, et qui prétendent être au service des netcitoyens. Quand les États vont-ils prendre conscience de leurs devoirs de protection de la vie privée en régime de démocratie et contraindre les multinationales à respecter une législation de base plus sécuritaire ? Les écoutes téléphoniques et l’ouverture du courrier sont interdites sans l’autorisation spécifique et justifiée d’un juge. Cette loi ne vaut-elle pas pour nos courriels, nos textos, notre agenda et notre carnet d’adresses électroniques ? L’internet est aujourd’hui encore plus répandu que les services de poste. Il y a là manifestement un grave problème de démocratie face auquel nous sommes démunis et trop insouciants. Et lorsqu’on voit apparaître des réglementations sévères pour sanctionner les compagnies de serveurs qui ne dénoncent pas les clients qui chargent illégalement des fichiers de musique, de cinéma ou des logiciels, force est de constater que les États favorisent nettement les intérêts commerciaux des multinationales au détriment du droit fondamental au respect de la vie privée des simples citoyens. Et puisqu’il est fondamental de respecter la propriété intellectuelle, le problème n’est pas simple. Les robots numériques sont comme les bactéries : nécessaires à la vie numérique, mais susceptibles aussi de devenir toxiques et de déclencher de graves pathologies, des infections fatales pour l’individu mais aussi pour une société dont le système immunitaire est déficient. L’américain Edward Snowdon, employé de la National Security Agency américaine, qui a dénoncé en 2013 à ses risques et périls les agissements de la NSA ; démontrant qu’elle espionne toutes les communications des citoyens dans tous les pays, y compris celles de ses dirigeants, présidents, chefs d’Etat, gouvernements, assemblées parlementaires, voire celles du président des Etats-Unis lui-même, nous apparaît comme un héros. Car il fallait un grand courage pour révéler la généralisation de ces excès extrêmes, incompatibles avec le respect des personnes, et les exigences éthiques des démocraties que nous prétendons construire.
Réf : Blog OINM 18/01/2014
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