Référence :
215040
Titre :
Mythanalyse du terrorisme
Date :
2015
Famille/Série
Observations :
Bibliographie
Explorer ce que pourrait être une mythanalyse du terrorisme nous semble une entreprise extrêmement difficile. Mais comment se dérober à cette tâche, alors que se multiplient partout dans le monde les actes de terrorisme religieux les plus radicaux.
Quelle fabulation collective peut être assez puissante pour conduire un esprit religieux à tuer à l’aveugle et à se faire exploser soi-même avec une ceinture d’explosifs? Au-delà des mots qui circulent dans la propagande djihadiste et qui expriment cette résolution, dans quel mythe profond s’enracine donc une motivation si radicale?
Fanatisme et terrorisme sont étroitement liés. Certes le fanatisme ne conduit pas nécessairement au passage à l’acte effrayant que constitue le terrorisme; mais les deux sont liés dans une configuration mythique primaire.
Le fanatisme déclare la supériorité absolue d’idées abstraites inscrites dans un récit imaginaire qui vient directement de Dieu ou du maître à penser. Ce texte, inscrit dans la Torah, parole d’évangile, sourate du Coran ou verset d’un catéchisme fasciste, est déclaré être La Vérité qui domine toute la réalité d’ici-bas, celle-ci ne pouvant être que dévalorisée, condamnée pour son manque de cohérence avec le credo fabulatoire, pour sa fausseté, son péché, ses valeurs fallacieuses ou dégénérées, ses souillures, et la vulgarité haïssable des êtres humains qui s’y complaisent. Cette Vérité est totalitaire et ne permet pas la moindre faille.
Le fanatisme étant binaire, il induit la perte du principe de réalité qui permet la violence transgressive de tout humanisme ou respect des autres, qu’ils soient selon les cas juifs, protestants, païens, athées, homosexuels, ou simples citoyens ignorant délibérément cette Vérité, Et il peut conduire au génocide.
Le premier point que nous retiendrons ici est donc cette opposition fondamentaliste et radicale entre une fabulation religieuse ou politique considérée comme sacrée et la réalité ordinaire qui y contredit ostentatoirement, qualifiée de déchéance. Cette opposition inclut la séparation et le rejet du monde profane. Elle induit la violence, elle appelle à l’exécution sans pitié, sans empathie de la masse des incroyants immergés dans leur souillure. Le terroriste est fanatisé et il répand sans hésitation la mort avec le glaive, le sabre, la kalachnikov ou la ceinture d’explosif au nom de son Dieu ou de son Führer sur ce fumier abject que nous sommes, nous autres incroyants, infidèles, juifs, jouisseurs, démocrates, homosexuels, ou membres de l’autre ethnie.
Une telle évolution dans la psyché d’un homme normal fanatisé jusqu’à devenir terroriste suppose donc l’enseignement insistant d’un credo appelé La Vérité. Elle se développe comme une quête d’absolu, qui n’est possible que si cet individu est en état de grande vulnérabilité: humiliation, frustration par rapport à une réalité qui ne répond pas à ses désirs, qui ne satisfait pas ses besoins matériels, ses aspirations, et qu’il va tendre à condamner par déception totale. Bien entendu, les adolescents qui ont du mal à s’intégrer dans la société adulte, sur le marché du travail, ou qui sont déstabilisés par rapport à leur immigration dans une culture étrangère sont particulièrement fragiles et susceptibles de répondre à cette propagande, qu’ils interprètent comme une voie alternative à leur malheur.
On mesure alors la puissance du credo dans lequel se nourrit ce fondamentalisme. Il implique un reniement tellement radical de la réalité, de ses compromis et des défauts qui lui sont inhérents, et une telle exigence de perfection, d’absolu qu’il entraîne une dichotomie entre réalité condamnable et Vérité suprême. A partir de ce stade psychique la violence froide et calculée s’impose comme une solution ou du moins une nécessité appelant à un devoir sacré.
Nous en avons vu les effets dévastateurs lors des attentats terroristes qui se sont multipliés au nom du salafisme et du wahhabisme. Mais toutes les religions ont secrété tour à tour cette toxicité extrême.
Refuser la réalité parce qu’elle nous fait souffrir, nous déçoit, conduit à des dépendances qui peuvent devenir pathologiques, que ce soit celle de l’internet, de la drogue, ou du fondamentalisme religieux.
C’est la frustration par rapport au réel qui crée la fuite vers le virtuel, vers les paradis artificiels, vers le fanatisme politique ou ethnique, ou vers l’aliénation spirituelle.
La diversités des fabulations religieuses dépend des contextes culturels et des époques. Elle ne devrait pas nous dissimuler que c’est ce même processus compensatoire par rapport au réel qui opère. Il en est de même de la diversité des drogues. Et on pourra se réjouir que la dépendance vis-à-vis de l’internet demeure, en comparaison, une drogue douce et socialement acceptable. Sa puissance ne devrait pas pour autant être sous-estimée, comme je l’ai souligné dans les Lois paradoxales du Choc du numérique (édition vlb, 2002),
L’engagement dans le fondamentalisme et le terrorisme, qui en constitue le passage extrême à l’acte, ne se fonde pas dans dans un mythe, dans tel ou tel récit fabulatoire, que ce soit l’islam, le catholicisme, le judaïsme, le fascisme hitlérien ou communiste, au nom duquel on exècre les juifs, les gitans, les homosexuels ou les Tutsis, mais dans le rejet de la réalité jugée inacceptable.
Ces comportements extrêmes, les mêmes dans tous les cas, qui devraient rester anomiques, individuels et exceptionnels, s’amplifient dans les imaginaires sociaux lorsqu’ils entrent en résonance collective dans une situation socio-historique particulièrement difficile et frustrante (crise économique de l’Allemagne qui favorisa la prise de pouvoir de Hitler, humiliation des populations arabes face à l’arrogance du triomphe matérialiste occidental, domination ethnique, etc.).
Nous mettons ainsi en évidence le processus fondamental de toute fabulation mythique, qui se constitue toujours par rapport à la réalité, en réaction contre elle, pour expliquer imaginairement ce que nous ne savons pas ou ne comprenons pas, pour compenser imaginairement nos impuissances, ou pour soutenir imaginairement nos espoirs d’une réalité meilleure. Et ces mythes peuvent être bénéfiques ou toxiques, voire violents et même destructeurs, à la mesure de nos frustrations ou de nos espoirs. Nous en observons aujourd’hui le spectacle désolant.
L’idéologie nazie appelle sans détour aux horreurs. Mais bien que l’islam puisse textuellement prêter à ces dérives de violence barbare, l’immense majorité des musulmans, ceux qui rejettent la charia, ont raison de dénoncer l’amalgame qui les associe injustement au terrorisme.
Réf : Blog Mythanalyse 17/12/2015
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