L’inconscient vieillit

Référence :
218001

Titre :
L’inconscient vieillit

Date :
2018

Famille/Série


Observations :

Bibliographie

Mythanalyse et neurosciences II: le vieillissement de l’inconscient
Les experts en neurosciences soulignent tous que à la naissance l’in-fans dispose déjà de son capital biologique d’une centaine de milliards de neurones, dont les réseaux – ce qu’ils appellent « la circuiterie nerveuse » est encore immature, donc plastique, tandis qu’en vieillissant le cerveau s’architecture, se stabilise, puis se rigidifie. Ce vieillissement normal comporte une perte de neurones (notamment ceux qui ne sont jamais ou rarement utilisés), qui peut d’ailleurs évoluer en pathologies, en sénilités mentales, voire des dégénérescences telles que l’Alzheimer, la maladie de Parkinson ou la chorée de Huntington.
Un cerveau adulte nous montre des réseaux synaptiques matures et clairement identifiables selon des regroupements fonctionnels stabilisées. Marc Peschanski décrit des ensembles de neurones, des noyaux « caractérisés par l’association de plusieurs familles de neurones suivant une architecture très précise. (…) Chaque noyau est en fait organisé comme une étape dans le transfert et l’intégration des messages nerveux, une plate-forme dans l’ascension de ces messages depuis la périphérie jusqu’aux centres cérébraux réalisant les opérations les plus sophistiquées; puis en sens inverse, par l’intermédiaire d’autres noyaux, jusqu’aux effecteurs périphériques du système nerveux. » (*)
Le cerveau adulte n’est plus en construction, mais structuré en circuits fonctionnels correspondant aux modes de vie, de pensée, d’opération usuels dans le rapport au monde familier de chaque individu. Les experts ne disent pas que la plasticité du cerveau a disparu. Elle se manifeste encore dans des « autoréparations » lentes mais possibles du cerveau par lui-même à la suite par exemple d’un accident cardiovasculaire ou psychique; mais elle diminue fortement. Elle se réduit principalement à l’utilisation de neurones disponibles pour prendre le relais de fonctions nerveusement compromises, mais déjà établies, beaucoup plus que par des modifications substantielles d’architectures neuronales.
Jean Costentin, l’un des experts les plus reconnus dans ce domaine, note: : « Le vieillissement cérébral normal réalise une perte de neurones alors que les neurones survivants ont de moins en moins la capacité de suppléer ceux qui disparaissent. Le cerveau voit se réduire son extraordinaire plasticité. (…) Rançon sans doute de leur extrême perfectionnement, les neurones n’ont pas la faculté de se multiplier. Ils suppléent cette incapacité de diverses façons, qui constituent autant d’attributs de ce qu’on convient d’appeler la plasticité neuronale. Ils peuvent ramifier davantage leur axone. C’est le sprouting, qui permet d’accroître le nombre de leurs contacts synaptiques avec les neurones du voisinage, remplaçant les contacts que n’assurent évidemment plus les neurones disparus. Ils peuvent encore accroître au niveau de ces jonctions synaptiques l’intensité de la transmission. »(**)
Cette perte de plasticité neuronale ne favorise pas, mais n’exclut pas non plus, des changements d’idées, de comportements, de valeurs, d’interprétations de notre rapport au monde. Mais elle rend plus difficiles les thérapies psychanalytiques ou mythanalytiques. Faire changer d’idée un patient devient plus improbable. L’inciter efficacement à substituer un mythe nouveau à un ancien, un mythe bienfaisant à un mythe toxique, prend plus de temps ou demeure incertain. En cure psychanalytique, lui faire prendre conscience d’un traumatisme d’enfance et l’amener à en maîtriser les effets pervers demeurés inscrits dans ses réseaux synaptiques précoces, devient une entreprise de longue haleine, exigeant éventuellement des années de cure, sans garantie de succès, comme on l’observe fréquemment.
Il faut alors que le mythanalyste dispose dans sa boîte à outils de mythes suffisamment puissants et convaincants pour négocier avec son patient de nouvelles croyances qui pourront prendre l’avantage sur les anciennes et déclasser ou marginaliser les circuits neuronaux qui y correspondaient, pour en construire de nouveaux. Cela est possible, mais c’est un long travail (comme on en parle dans l’accouchement). On observe que c’est le plus souvent dans leurs jeunes années que les chercheurs et les créateurs font leurs plus grandes découvertes, conçoivent leurs plus grandes inventions. Plus tard, les routines du cerveau et de la vie seront plus difficiles à modifier. L’énergie vitale qui serait capable de déstabiliser et bousculer des équilibres inscrits durablement dans les réseaux neuronaux pour se lancer dans de nouvelles aventures à risque, diminue avec l’âge, au profit d’un besoin de sécurité psychique, dans le cadre de l’idéologie et des institutions dominantes de la société dans laquelle on vit.
Autrement dit, l’horizon des fabulations créatrices se rétrécit. L’inscription sociale, idéologique, culturelle, familiale, fonctionnelle, professionnelle prend la relève des inscriptions neuronales fabulatoires de l’enfance. Et elle tend elle aussi, comme la structure neuronale du cerveau, à se rigidifier avec l’âge. On craint davantage les ruptures, les divergences, en un mot les changements. L’esprit devient plus conservateur, comme le cerveau.
Il ne faut surtout pas croire comme la psychanalyse le fait implicitement – inconsciemment? – que l’inconscient demeure en nous comme une grosse valise dans la cave, qui ne change plus et dont on peut seulement ouvrir le couvercle et consulter les papiers. Il se constitue dans nos années précoces et il évolue avec les stades du développement fabulatoire. Au stade de la conscience augmentée, il a accumulé bien des feuillets, construit et stabilisé ses références, ses circuits neuronaux, il en dispose tranquillement au lieu de s’affairer à les développer. Il prend éventuellement du recul, éventuellement se questionne sur la vie, son accomplissement, son sens, la mort qui se rapproche. Il analyse davantage les multiples informations planétaires qu’il capte en temps réel; il modifie conséquemment son rapport fabulatoire au monde. Mais il n’est plus capable de changer radicalement ses références, ses croyances, ses valeurs. Il est plutôt en phase de maturité de sa vie.
Nous évoquons ici la majorité des évolutions, aussi bien sociales qu’humaines, institutionnelles et idéologiques que neuronales. On le sait, c’est la divergence qui fait évoluer la nature, l’histoire sociale, la création culturelle. C’est la divergence qui inspire les créateurs. Et il faut espérer qu’elle demeure toujours possible, dans la nature comme dans la société comme chez l’individu, à tout moment de son évolution, de son histoire, de sa vie.

———————-
(*) Marc Peschanski, Le cerveau réparé? p. 283-284, Plon, Paris, 1989.
(**) Jean Costentin, Les médicaments du cerveau, p. 95-97, éditions Odile Jacob, Paris, 1993.

Réf : Blog Mythanalyse 26/07/2018
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