Autoanalyse mythanalytique

Référence :
218005

Titre :
Autoanalyse mythanalytique

Date :
2018

Famille/Série


Observations :

Bibliographie

Toute ma vie j’ai cauchemardé, au point de redouter de m’endormir le soir. Je ne me fais aucune illusion: je cauchemarderai jusqu’à ma mort. Et au-delà de ma mort, je cauchemarderai que je suis vivant. Pourquoi?
Il est difficile de suivre Freud dans son vocabulaire de déchiffrage des rêves comme s’il s’agissait de rébus, tout étant selon lui sexuel. Et il y tenait mordicus. Mais ces séquences hétéroclites et brisées, que rêves et cauchemars enchaînent, nous viennent nécessairement de notre mémoire inconsciente, éventuellement réinterprétées, mais souvent aussi assez factuelles pour nous paraître réelles dans notre sommeil. Elles s’enchaîneraient par associations d’idées entre elles et avec des faits de la vie réelle récente ou ancienne.
Freud pensait avoir observé en écoutant ses patients lui raconter leurs rêves, que les effets se présentaient toujours avant leurs apparentes causes dans le déroulement de nos rêves. Il est permis d’en douter, mais la question de la syntaxe qui commande ces suites de séquences demeure incontournable. Et personne ne sait répondre à cette question. Certes, on préfère considérer avec Freud et Lacan une logique qu’une chronologie de l’inconscient: « La valeur de l’inconscient se révèle dès lors avant tout logique. » Mais Michel Neyraut souligne plutôt qu’il faut « étendre le champ de l’incertitude » tant ces logiques peuvent varier.*
Il paraît qu’on fait tantôt des rêves agréables, par exemple érotiques, tantôt des rêves désagréables. Cela tient-il à une mémoire inconsciente plus ou moins heureuse? Dans ce cas, la mienne serait d’un genre épouvantable. Et il est vrai que ma recherche mythanalytique m’est venue de la peur de l’imaginaire, du noir, des voleurs, des frayeurs qui ont marqué mon enfance et dont je cherchais à me libérer. J’ai voulu en percer les ténèbres pour m’en affranchir. J’y suis parvenu pour le jour, mais demeurent les cauchemars qui hantent mes nuits. J’ai observé que je me perds souvent dans des villes que je crois connaître, incapable de retrouver mon chemin, me heurtant sans cesse à toutes sortes d’obstacles improbables, ce qui me semble relever d’une insécurité persistante. Comment en venir à bout aujourd’hui, à 77 ans? Je ne sais. Demeure cet échec. Il met sans doute en jeu une insécurité affective d’enfance, qui a été en effet très intense, profonde parfois comme un abîme. De cela je me souviens encore très bien et très douloureusement. Tant par rapport à ma mère qu’à mon père et surtout par rapport à la nuit. Mais cette insécurité n’était-elle pas ordinaire à cette époque, où les relations intergénérationnelles demeuraient distantes? Pourquoi cela est-il devenu si dramatique pour moi? Pourquoi dois-je sans cesse encore lutter contre d’incessantes angoisses? Est-ce un héritage génétique des mes deux parents qui avaient connu de grands malheurs et qui étaient, comme je le demeure, maladivement angoissés?
Toute auto-analyse est difficile. Mais il est probable que ce que je n’ai jamais surmonté ce que j’appelle le stade du chaos. Peut-être parce que nous étions à Paris en 1941, en pleine guerre, et à cause des drames familiaux qui avaient précédé ma naissance et créé tant de morbidité autour de moi ? Tous mes souvenirs me disent que je me suis toujours senti seul, abandonné à moi-même, dans un environnement chaotique, jusqu’au delà de la puberté, jusqu’au moment de mon premier amour. Donc terriblement longtemps. Mais je croyais cette situation normale, quasi banale et il n’y avait là, de fait, rien de si exceptionnel qui puisse expliquer que je passe encore mes nuits à cauchemarder dans la vieillesse.
Le développement des stades successifs d’émergence et de transformation de nos facultés fabulatoires évoque un parcours du combattant. Mais il semble que chaque nouveau stade ne contribue pas à surmonter le ou les stades précédents. Il y aurait plutôt dans notre mémoire inconsciente une accumulation des ces modes fabulatoires, comme des couches sédimentaires qui s’ajoutent, de sorte que la nostalgie du stade fœtal demeurerait active à l’âge adulte tout autant que les angoisses du stade du chaos, que les frustrations d’impuissance du stade de la tortue, que la curiosité constructive des stades de l’ourson et du pingouin, que la rébellion du stade du homard, que le travail d’intégration sociale du stade adulte, même et jusqu’au stade de la conscience augmentée qui demeure sourdement travaillé par tous les éléments psychiques des stades accomplis, tout en accédant à plus de recul et de possible sérénité, alors même que le regard enraciné dans la vie se tourne plus paisiblement vers la mort, sans surmonter nécessairement l’anxiété qu’inspire ce compte à rebours de la vie.
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*Michel Neyraut, Les logiques de l’inconscient, Hachette Littérature, Paris, 1978.
Réf : Blog Mythanalyse 19/12/2018
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