Penser, c’est imaginer

Référence :
218010

Titre :
Penser, c’est imaginer

Date :
2018

Famille/Série


Observations :

Bibliographie

Tous les mots sont d’origine imagée (métaphoriques) et les lettres de l’alphabet elles-mêmes, ainsi que les chiffres sont des pictogrammes – des signes imagés. On oublie que le mois de juillet vient du prénom de Julius César et le mois d’août de l’empereur Auguste, qu’il comptait avant lui 30 jours et que celui-ci modifia le calendrier en lui en attribuant 31 pour mieux symboliser son importance impériale. La lettre D vient de la graine de céréale germée lors de la 4e lune, la lettre M corresponde à la 12e lune: Mu ou Mutshep qui signifie la crue du Nil et l’irrigation, dont c’était la période annuelle et évoque donc une vague qui avance: M. Quelles que soient les déclinaisons, filiations, hybridations, écarts entre les différents alphabets, hiéroglyphique, cunéiforme, phénicien, étrusque, copte, hébreu, grec, latin, toutes les lettres de l’alphabet, au nombre général de 24 en deux séries de douze, sont en relation pictographique originelle avec les douze lunes et le calendrier annuel des activités agraires. C’est là qu’on découvre l’origine de leur graphisme, de leur ordre alphabétique, de leur nombre de 24. Elles se retrouvent aussi dans les douze heures du jour et de la nuit, dans les signes du zodiaque et dans les cartes du tarot. Cela vaut aussi pour les idéogrammes chinois. Patrice Serres, sinologue et dessinateur, le rappelle et le démontre spectaculairement dans son livre « Le mystère de l’ordre alphabétique ». (*)
Nous croyons penser et compter avec des signes strictement opératoires, comme des pièces de meccano du même métal que nous combinons diversement pour construire des pensées différentes. Nous oublions la riche diversité, l’hétérogénéité des images du réel que nous uniformisons ainsi. Nous croyons que ce sont des signes abstraits. Et en effet, ils sont ab-straits, réduits à des abstractions du réel qu’ils représentent encore néanmoins et non sans ressemblance visuelle ou gestuelle . On dira que les mots sont des métaphores usées, dont on oublie l’image qu’ils condensent pour penser plus vite et selon des complexités. On dira que les lettres de l’alphabet sont des idéogrammes usés, dont la simplification graphique favorise le calcul mental. On parle même alors d’alphabets phonétiques. Chaque lettre évoque un son et nous juxtaposons les sons pour prononcer des mots. On oublie alors que les signes phonétiques n’ont aucune analogie avec les sons qu’ils indiquent. Ils sont d’ailleurs les mêmes dans une diversité de langues où ils se prononcent différemment. Pensez seulement à la différence de prononciation des mêmes lettres dans deux langues aussi proches que l’anglais et le français.
Dire que nos alphabets sont phonétiques, c’est nier qu’ils évoquent encore, sans que nous y pensions, les rapports imaginaires au monde dont ils sont nés. Parlant, comptant, nous croyons penser, mais nous ne pouvons penser sans imaginer explicitement ou implicitement, en organisant des séquences d’images qui portent les associations d’images-idées.
Des souliers usés demeurent des souliers. Des mots métaphoriques demeurent des images, des chiffres idéographiques demeurent des images, même lorsque nous croyons penser abstraitement. Le meuble ne porte pas nécessairement visible la mémoire des arbres et des outils avec lesquels ils ont été fabriqués. Parfois nous aimons reconnaître les veines du bois, la trace d’une hache, parfois nous y sommes aveugles et n’en considérons que la fonction et le design. Tout dépend, comme toujours de notre intention, comme le rappelle la phénoménologie. Même si je dis ou j’écris 2+2=4, l’image réelle de l’accumulation demeure dans le code de langage et le déroulement du temps qui me permet de penser cette opération. Patrice Serres montre d’ailleurs très bien comment les signes de l’écriture sont des pictogrammes de la mesure du temps: « des symboles agraires de la mesure du temps se sont mués en signes linguistiques ». Et même si nous ne sommes plus des paysans de l’antique vallée du Nil ou des agriculteurs chinois d’il y a 6 000 ans, même si nous en usons sans penser aux saisons, au cycle de la lune qui rythme encore les semailles, la moisson, la pêche, la chasse en milieu rural, alors même que nous vivons au 25e étage d’un immeuble urbain, c’est la mémoire des images condensées dans ces signes qui les rend opérationnels. Nos alphabets gardent la trace pictographique de notre passé agraire au coeur même de nos civilisations urbaines. Et leur transformation continuera en reflétant notre nouvelle civilisation numérique.
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(*) Patrice Serres, Le mystère de l’ordre alphabétique, de la mesure du temps à l’écriture, Presses du Châtelet, Paris, 2010.

Réf : Blog Mytahnalyse 08/08/2018
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