Référence :
218019
Titre :
Freud, un génie fabulateur
Date :
2018
Famille/Série
Observations :
Bibliographie
Il faut le souligner, Freud n’a jamais tenté de situer topologiquement dans le cerveau ni le psychisme, ni l’inconscient. Il aurait eu bien du mal à y parvenir. Aujourd’hui encore, aucun neurologue, aucun spécialiste du cerveau ne sait où les situer. Il est descendu dans « la cave » avec une « psychologie des profondeurs » qui confine à l’obscurantisme. Il affirme l’existence de l’inconscient parce qu’il croit en déceler les effets réels (réels parce que le patient souffre « réellement »). Et c’est une grande découverte : je suis de ceux qui en reconnaissent l’existence et lui attribuent un pouvoir déterminant dans notre rapport au monde.
Cette douleur réelle qui naît de l’inconscient est bien réelle, parfois tragique. Freud en a fait un récit, qui raconte une souffrance liée à des méchants (père, mère, amant(e) qui ont peuplé la biographie du « malade ». Et Freud, recourant lui-même aux récits mythiques des Anciens Grecs, fait entrer sur scène Eros, Thanatos, Oedipe, Narcisse et d’autres qui nous malmènent, nous rendent malades. Avec Freud, nous sommes tous des malades. Il analyse la fiction du patient avec des mythes qu’il interprète d’ailleurs fort librement. Est-ce que cela peut guérir ? J’en doute.
Mais il arrive qu’en prenant conscience d’un mythe, dont il découvre grâce à l’analyse être personnellement victime, le patient change de récit et se sente mieux. Ou au contraire que cette fabulation supposée curative proposée par l’analyste au patient aggrave sa pathologie.
La mythanalyse souligne la distinction qu’il faut faire entre mythes bienfaisants et mythes toxiques. Or tous les mythes mis en scène par Freud sont toxiques, ou du moins sont interprétés par Freud comme des récits emblématiques de pathologies. La mythanalyse, au contraire, recherche et promeut les mythes bienfaisants au niveau collectif, mais aussi individuel.
Se présentant comme un clinicien, un médecin des âmes, voire un biologiste, Freud est en fait le plus ingénieux des fabulateurs. Toute son architecture psychique, ou, comme on dit, son « économie psychique », est une invention littéraire et mythique. Elle est sans rapport avec aucune réalité neuroscientifique. Du moins même les experts en neurologie qui croient à la psychanalyse – ils sont très rares, il est vrai – n’ont jamais pu la préciser.
C’est pourtant la mythanalyse, telle que je la conçois, qui explique et situe la relation étroite entre inconscient, fabulation et cerveau. La mythanalyse postule que nous naissons « homo fabulator » et le demeurerons toute notre vie parce que ces fabulations définissent notre rapport au monde d’infans dès avant notre naissance, dès avant toute conceptualisation langagière, et s’inscrivent neurologiquement dans la plasticité de nos réseaux synaptiques de nouveau-né, puis au fil des stades successifs de notre développement biologique et fabulatoire. Ces matrices fabulatoires existent : elles sont nos réseaux neuronaux originels, les plus déterminants de nos fabulations à venir. Et seules de nouvelles fabulations de l’âge adulte – celles des récits mythiques dominants de notre culture d’appartenance – pourront éventuellement les modifier, à moins qu’elles ne les renforcent.
Freud a eu le génie de comprendre que notre rapport au monde est fabulatoire, y compris la cure psychanalytique. La mythanalyse ne dit pas autre chose.
Et elle relie ces fabulations aux sciences neurologiques, sans en nier la recherche de cohérence propre, ni la puissance médicale éventuelle. Car il ne suffit pas de découvrir des zones spécifiques du cerveau pour les émotions, la mémoire, le langage ou le raisonnement. Ce ne sont pas davantage des processeurs ou des récepteurs d’influx nerveux et chimiques qui pourront expliquer la nature de notre rapport au monde. Celui-ci est fort différent chez le rat et chez l’homme, bien qu’ils aient des cerveaux semblables à 2% prêt, d’après les spécialistes, ou chez les Égyptiens anciens et les new-yorkais actuels, qui disposent pourtant des mêmes cerveaux. Les uns comme les autres fabulent, quoique fort différemment, parce qu’ils en sont réduits à imaginer le monde, les uns comme les autres, mais dans des contextes sociologiques différents. C’est la sociologie qui détermine nos fabulations. La philosophie, la phénoménologie, l’anthropologie nous démontrent que nous ne pouvons avoir du monde qu’une connaissance imaginaire, même si personne ne niera que le monde existe. Encore que cette fabulation ait elle aussi un sens. Le succès de la série de films Matrix en témoigne.
Il faut donc reconnaître le génie fabulatoire de Freud, même si l’on peut détester son orgueil, son obsession sexuelle, son machisme, son manque d’éthique. Ce sont certes des points critiquables de ses fabulations, mais qui ont cependant contribué à sa puissance mythique. Il a été typiquement un inventeur de mythes: la psychanalyse.
La fabulation lacanienne est certes moins puissante, mais elle a le mérite de situer la psychanalyse au niveau de son exercice réel: psychanalyse et inconscient ne sont que du langage, des accidents de langage, des rencontres malheureuses ou curatives de discours. Quant au personnage de Lacan lui-même, il n’est guère plus convaincant que celui de Freud. Il est celui d’un psychiatre qui se prend pour un gourou et joue du langage comme d’un instrument de pouvoir savamment construit et exploité. Je l’ai écouté et vu faire son show à Normale Sup entre 1964 et 1969, avant qu’il en soit interdit pour « obscurantisme ».
Réf : Blog Mythanalyse 13/07/2018
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