Mythanalyse de deux fabulations rationalistes, celle de Spinoza et celle de Hegel

Référence :
218035

Titre :
Mythanalyse de deux fabulations rationalistes, celle de Spinoza et celle de Hegel

Date :
2018

Famille/Série


Observations :

Bibliographie

Spinoza est, selon moi, après Démocrite et Lucrèce le premier grand philosophe matérialiste ou athée. Deus sive Natura, écrit-il (Eth., IV, 4, dem.). Il identifie Dieu à la Substance et à l’Étendue. Il rejette toute idée d’un Dieu singulier, personnel et créateur. Appelant la Nature Dieu, il se présente en athéiste masqué, du fait des persécutions dont il a été victime, comme le souligne l’un de ses plus grands connaisseurs et traducteurs: Robert Misrahi. Dieu est là de toute éternité, parce qu’il est la Nature. Jusque là, nous sommes d’accord, sans savoir, ni lui, ni moi, ni personne ce que peut-être cette éternelle éternité.
Mais Spinoza considère la Nature comme une substance géométrique et il adopte lui-même une présentation géométrique de sa démonstration dans l’Éthique. Ce qui est pertinent, bien que terriblement ennuyeux à lire, puisqu’il inclut la pensée dans sa conception de la Nature. Il y inclut aussi, ce qui est logique les affects, qu’on peut traduire comme les émotions et les sentiments. Pour Spinoza, Dieu est la Raison absolue et éternelle. Il en résulte, selon lui, que la Nature est absolument rationnelle et que notre joie et notre liberté humaine consistent à adhérer totalement à la conscience de cette rationalité. Nous sommes libres, parce que nous sommes capables de dépasser nos émotions et passions qui nous cachent cette rationalité universelle pour la découvrir et nous y identifier. C’est évidemment là un sophisme. La Raison universelle ainsi conçue est absolument déterministe et ne laisse aucune place à la liberté humaine, si ce n’est dans l’erreur où nous conduisent nos passions, ou dans la conscience rationaliste de notre non-liberté. Je dirai comme Luc Ferry que cette position philosophique est « délirante ». Elle tellement contradictoire qu’elle est intenable pour l’esprit humain, même celui qui est relativement rationaliste, et a fortiori pour un rationalise intégral de style spinoziste.
Je résumerai donc la philosophie de Spinoza en ces mots: Deus sive Natura, sive Ratio. Les passions humaines ne sont que des défauts (manques) de Raison.
Affirmer que la Nature est absolument rationnelle, géométrique ou mathématique, c’est certes la position d’Einstein ou de Stephan Hawkings, deux génies de l’astrophysique, lorsqu’ils parlent de l’Univers, (ce qui est plus confortable ou satisfaisant quand on est scientifique), mais j’y vois plutôt un intégrisme de la Raison qui devient par son jusqu’auboutisme irrationnel et relève de la fabulation. Il s’agit d’une métaphysique rationaliste dont le purisme est une « pure » hypothèse intéressante en science positiviste, mais intenable en science contemporaine incluant la physique quantique.

L’autre grand philosophe qui a affirmé à son tour que tout ce qui est réel est rationnel et que tout ce qui est rationnel est réel, c’est Hegel. Mais alors que la fabulation spinoziste est immuablement, éternellement fixiste, celle de Hegel y introduit l’Histoire par le biais de la dialectique. Au lieu du fixisme éternel de Spinoza, la dialectique hégélienne fonde une vision dynamique de la Nature, et dès lors, ce n’est plus la Nature qui est Dieu, mais la Raison. Deus sive Ratio. Mais ce Dieu identifié à la Raison, contrairement à celui de Spinoza, est créateur. Il n’est pas fixiste, mais évolutionniste. Il introduit dans sa métaphysique rationaliste la « flèche du temps » chère à Ilya Prigogine. Non pas dans le sens darwinien de l’adaptation, mais par un certain désordre, par la contradiction qui fait progresser la Raison, et cela s’appelle l’accomplissement de l’Histoire vers le règne final de la Raison.
Contrairement à Spinoza, Hegel n’est pas un matérialiste et athéiste masqué, mais un idéaliste déclaré qui croit que ce sont les Idées qui font progresser l’Histoire et non la matière. Le réel n’est pas pour Hegel une Substance et une Étendue, mais les Idées. Il réactive ainsi selon une nouvelle fabulation théorique la philosophie idéaliste de Platon. Il faut attendre la dialectique marxiste et la célébration des Révolutions du prolétariat pour aboutir à nouveau à un matérialisme de la Nature.

Nous voyons ainsi deux variantes du rationalisme intégral ou extrémiste qui nous apparaissent comme deux fabulations audacieuses, géniales, qui relèvent toutes deux d’un désir d’ordre, éternel pour Spinoza, attendu et final pour Hegel, qui expliquent le sens de l’Univers, du Cosmos, de la Vie, selon le terme qu’on voudra choisir.
Ce sont paradoxalement, aux yeux du mythanalyste deux versions fabulatoires extrêmes du rationalisme. Dans les deux cas, selon deux récits différents, l’un fixiste, l’autre dynamique, c’est le culte de la Raison qui est sur scène. On y verra une quête de perfection, au sens latin du mot: l’accomplissement de l’Être. La mythanalyse en cherchera l’origine dans le Stade de la tortue sur le dos: une impuissance durable qui crée chez le nouveau-né une frustration qu’il compensera par la suite, au Stade du homard, par un désir d’accomplissement de son être, une soif d’imaginer et de construire un monde qu’il puisse contrôler entièrement (Spinoza) ou espérer contrôler à terme (Hegel).
De fait, rien ne permet d’affirmer et encore moins de démontrer que le réel soit rationnel, ni que le rationnel soit réel, ni que ce rationalisme soit indiscutablement « vrai » comme la géométrie, ni que le Progrès de l’Histoire nous conduise au règne final de la Raison.
Nous observons plutôt l’irrationalisme de la nature, son imperfection, son chaos, son désordre qui laissent place à son évolution par le hasard et la divergence (un concept fondamental que j’oppose au darwinisme)*. Ce désordre crée souvent de grands malheurs humains, mais il laisse une place fondamentale à la liberté, qui donne un sens humain à notre évolution, permet le meilleur comme le pire. Nous cherchons, sans adopter les postures fabulatoires de Spinoza, ni de Hegel, à construire un ordre, un mieux-être dans la condition humaine, en relation avec la nature à laquelle nous appartenons, mais nous sommes des hommes qui aspirons à cet ordre, qui le construisons par moments, selon nos désirs, nos valeurs, donc nos fabulations humaines, sans faire monter en scène la géométrie mathématique absolue, ni la déesse Raison pour nous en remettre à leur pouvoir absolu. Nous ne leur déléguons aucune parcelle de notre modeste pouvoir ni de notre entière responsabilité.

La mythanalyse est un humanisme, une philosophie humaniste, relativiste, fabulatoire, en quête d’une meilleure condition humaine. Nous sommes beaucoup plus humble que Spinoza et Hegel, dont les excès de rationalisme fabulatoire nous ont appris à être plus auto-critiques.

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*Hervé Fischer, La divergence du futur, vlb éditions, Montréal, 2014.

Réf : Blog Mythanalyse 27/06/2016
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