Référence :
20801
Titre :
Ozone
Date :
2008
Technique :
Acrylique sur toile
Famille/Série
Nouvelle Nature Numérique
Dimensions
122 x 91
Signature
en bas, à droite
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Provenance
Collection particulière
Observations
Expositions
Céret, Centre Pompidou
Bibliographie
Couleurs numériques
Le monde a changé de couleurs plusieurs fois. Les peintres de la Renaissance ont substitué aux couleurs pures et symboliques des Primitifs des couleurs locales, rompues, que la volonté d’une perception plus réaliste, vraisemblable, ont ternies, brunies, bleutées, réduites jusqu’au clair obscur et au contraste de valeurs dans le néo-classicisme. La couleur pure a été exclue. Puis, les peintres sont sortis de leurs ateliers, oàu ils se limitaient à des couleurs convenues et obscurcies. Les Romantiques, et surtout les Impressionnistes ont redécouvert les contrastes de couleurs et la saturation chromatique d’une nouvelle perception de la nature. Ces impressions subjectives et fugitives de lumière-couleur de plein air, jugée pure, ont bientôt donné libre cours à la rébellion des fauvistes. Entre temps, le développement des pâtes industrielles de pigments, de l’impression offset, de la publicité, de la signalisation, des éclairages et du commerce urbains a favorisé une nouvelle sensibilité chromatique, qui célèbre des couleurs vives, saturées et contrastées.
Le rythme du changement s’est accéléré en Occident. Nous nous sommes aujourd’hui complètement éloignés de la sensibilité impressionniste aussi bien que de la vraisemblance perceptive, en nous habituant à une nouvelle gamme, celle des couleurs-lumières numériques de nos ordinateurs. Ce sont des couleurs additives, contrairement aux couleurs soustractives du papier, du tissu, des matériaux réfléchissants. Elles nous bombardent d’électrons à travers les écrans cathodiques. Ce sont à nouveau de fausses couleurs, choisies pour leurs contrastes et leur lisibilité. Elles sont redevenues conventionnelles, et même de plus en plus régies par des codes internationaux. L’imagerie scientifique de nos bulletins météo à la télévision, aussi bien que de nos laboratoires de recherche, en physique, en biologie, en écologie nous présentent une nouvelle image de la nature, en couleurs codées, saturées, libres de tout réalisme, comme dans les vitraux de nos cathédrales, ou dans les masques indigènes.
Voilà une révolution chromatique radicale, qui renoue paradoxalement à l’âge du numérique avec la symbolique des codes de couleurs primitives et du Moyen-âge. L’usage des couleurs ne tient plus à une vraisemblance perceptive : il la nie constamment. Il se constitue en langage visuel, pictographique, qui tend à devenir internationalement normé. De ce fait notre gamme artificielle de couleurs se simplifie, s’appauvrit en rejetant ces nuances chéries de notre sensibilité naturaliste ou impressionniste, qui aujourd’hui brouilleraient le message, aussi bien signalétique que scientifique. La couleur se délocalise, sous la pression internationale. Elle est laïque, certes, mais il ne faudrait pas en sous-estimer la dynamique énergétique, voire l’émotion, qui correspondent de nouveau à un ailleurs Car à l’opposé du réalisme inventé par la Renaissance italienne, le monde numérique selon lequel nous interprétons, remodelons et transformons le réel relève d’une vision prométhéenne. Nos couleurs n’évoquent plus le mystère des esprits, ni des dieux. Ce ne sont pas les couleurs de la nature. Ce sont les couleurs des hommes qui croient désormais en leur pouvoir créateur.
Les nuances relevaient de la vie rurale, soumise à la nature. Liées à la survie des pêcheurs, des chasseurs, des agriculteurs, elles commandaient de riches vocabulaires que nous perdons de plus en plus. C’est l’industrie textile et de la mode, qui en a pris le relais dans les sociétés urbaines. Au XIXe siècle, le goût littéraire et l’introspection psychologique les a associées à des états d’âme, le plus souvent en réactivant au nom d’une pseudo psychologie des couleurs les anciennes symboliques religieuses. Nous n’en sommes plus du tout là.
Couleurs cathodiques bonbons
Cette colorisation artificielle de notre image du monde gagne tous nos écrans, nos objets, nos modes vestimentaires. On colorise les cartes postales, les films, les chemises, les voitures, les emballages de produits alimentaires, les couvertures de disques, les médicaments, les jus de fruits, les plastiques, les fleurs et bientôt les macdos comme des bonbons.
Qu’ils explorent des espaces ludiques et de divertissement, ou qu’ils abordent les thèmes de la nature et de la vie artificielles, les arts numériques, qu’ils soient d’installation ou écraniques, n’explorent plus que les gammes saturées des seules couleurs électroniques ou cathodiques. Et ils en cultivent le nouveau plaisir bigarré. La couleur lumière est énergie. Elle est active.
Réf : Blog Nouveau Naturalisme 06/06/2008
Le nouveau sentiment de la nature
La nature était jadis habitée par les esprits et les dieux. Elle avait créé l’univers et les hommes. On lui rendait hommage dans tous les animismes et les innombrables mythes de l’origine. On la craignait. On lui sacrifiait des enfants, des vierges. Elle était sacrée. Les hommes l’ont célébré avec des icônes: le rocher chinois, le bouquet de fleurs japonais, le masque, le corps de l’athlète grec en marbre, la nature morte classique, le monochrome ou l’art abstrait au fil des siècles et des cultures..
Entre temps, l’idéalisme platonicien et les monothéismes l’ont reléguée à la matière, celle qui nous trompe, celle qui nous entraîne dans le péché. Ils ont instauré les icônes de la croix ou du clocher d’église, tandis qu’on dévalorisait, voire condamnait la nature, comme le corps – jugé impur. Puis on en a fait une machine, dans la foulée des animaux-machines de Descartes, et on l’a soumise à une science alchimique, mécanique, puis physique. On en a fait un système suisse d’horlogerie perpétuelle, qui comptait les jours et les heures avec exactitude. Et on opposait toujours encore ses mécanismes ordinaires à la noblesse de l’homme, créé à l’image de dieu et doté d’une âme immatérielle. L’homme veilla donc à exploiter et maîtriser cette nature qu’il mit à son service sans ménagement, et qui devenait triviale: une commodité, comme disent les Anglais.
Le romantisme a redécouvert au XIXe siècle l’émotion, le mystère, la beauté inspirante d’une nature poétique, lunaire, sauvage et originelle qu’on avait oublié. On inventa un nouveau mythe, gothique, de la nature que célébrèrent les poètes et les peintres, puis les vacanciers, les sportifs, et… les promoteurs immobiliers. Simultanément, l’industrie en exploitait sans retenue les ressources naturelles, le bois, le charbon, le pétrole, les minéraux, l’eau, jusqu’à ce que naisse en contrepoint une nouvelle conscience de la nature, cette fois écologique. On accusa l’industrie, on pleura sur la fragilité des écosystèmes. On prit conscience de la globalité des problèmes de pollution et des équilibres de l’environnement. Et les technologies numériques nous révélèrent la beauté de l’univers lointain ainsi que de la petite planète bleue. Mais les images numériques par satellites découvrirent aussi les trous dans l’ozone des pôles, la pollution des océans, la déforestation, la fonte des glaces. Notre vision de la nature devint non plus intimiste, mais planétaire, voire astrophysique, toujours numérique. Et cette nouvelle image scientifique de la nature qui en révélait la beauté et la fragilité s’accompagna d’un nouveau romantisme technoscientifique ou numérique qui domine aujourd’hui.
Nous sommes désormais passés, comme l’a souligné la Société géographique de Londres, après le néolithique, l’âge du feu, du fer, etc., à l’anthropocène, l’âge où l’empreinte de l’homme sur l’univers devient plus puissante que les mouvements géologiques. L’âge du numérique lui est directement lié. Voilà une constatation qui soulève des questions gigantesques et inédites.
Cette nouvelle naturalité, c’est celle que peindraient aujourd’hui Cézanne, Monet, Gauguin, les fauvistes, en fausses couleurs et en données quantitatives capables d’exprimer notre nouvelle compréhension de la nature, notre nouveau rapport humain à elle, nos émotions éconumériques, esthétiques, mais aussi lourdement chargées d’anxiété. Car cette nature semble vouloir s’assombrir, noircir, abandonner l’éternité cyclique rassurante qu’on lui attribuait, pour tomber dans l’éphémérité et s’exposer à la disparition.
Telle est l’hypernaturalité que je tente d’explorer, que ce soit pour l’exposer aux regards, la célébrer, l’exorciser ou en sauver temporairement la mémoire.
Réf : Blog Avenir de l’Art 19/02/2009
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