Hervé Fischer: « mon exposition au MNAM, Centre
Pompidou, 15 juin-11 septembre 2017, m’impose une
relecture inattendue de mon œuvre. »
Étrange expérience existentielle que de sortir du bois (je vis au Québec, dans les Laurentides) et de me retrouver sous les phares de l’actualité parisienne. Étrange expérience que de voir ma démarche d’art sociologique, autant dire ma vie, mes émotions, mes méditations exposées aux yeux de tous dans l’une des plus importantes institutions d’art contemporain au monde. Mais ce fut aussi, en soi, une expérience
pleinement sociologique. Elle m’a fait prendre conscience de la distance psychique que j’ai parcourue depuis mon émigration au Québec au début des années 1980.
Quel n’a pas été mon étonnement, pour moi qui suis né à Paris en 1941 sous
l’occupation nazie, qui ai vécu une enfance mortifère à l’os, et qui en ai gardé une mémoire traumatisée, d’entendre tant de commentaires unanimes sur la “joie de vivre” qui rayonnerait de toutes parts dans mon œuvre. Cette posture étonne manifestement les intellectuels parisiens qui mesurent leur intelligence pénétrante à la toise de leur brillant pessimisme. J’ai donc redécouvert à Paris, dans le méli-mélo des ambitions, des discordes, des luttes mortelles d’ego, des stratégies médiatiques tordues, des soupçons et des hypocrisies, dans les chicanes intellectuelles et les dérives
psychiques théâtralisées tous les délices empoisonnés de la culture européenne.
Un monde qui m’est devenu étranger, au point de m’y sentir désadapté. On y goûte comme à une boisson épicée, mais le plaisir ne dure pas.
Je m’y suis retrouvé comme un « bon sauvage » débarqué en ville, dont la quasi naïveté étonne, mais crée aussi conséquemment des amitiés solides dont je m’honore. J’avais pourtant le sentiment que mon art expose clairement la critique parfois grinçante et l’ironie de l’art sociologique que m’inspire notre époque. Mais j’ai appris qu’on y trouve avant tout en Europe une expression de bonheur dont je n’avais pas conscience. Cette
nouvelle scène sociologique parisienne m’a donc imposé une relecture de mon travail à laquelle je réfléchis actuellement. Un artiste, un génie, ne devrait-il pas plutôt être un monstre comme Michel-Ange, Picasso, un malheureux comme Van Gogh, Soutine, etc. ? Suis-je un artiste naïf ? Un douanier Rousseau de l’art sociologique et du monde numérique qui me fascine ? Un philosophe trop apaisé pour demeurer créatif ? Ma
vérité est-elle dans le Vieux ou dans le Nouveau monde ? Voilà un questionnement qui pourrait me pousser plus loin dans mes retranchements.
J’ai observé que ma “convivialité” surprenait manifestement ceux qui font
quotidiennement leurs choux gras de la chicane et de l’agressivité si ordinaires en France, qui en font une stratégie agressive de réussite, trouvent un plaisir évident à être contre tout et célèbrent une méchante humeur quotidienne. Mais j’ai eu personnellement bien des raisons d’apprécier l’accueil que m’a réservé le Centre Pompidou, et d’y trouver de nouvelles raisons philosophiques de ne pas ronchonner. Ainsi, ce fut une incroyable expérience que de constater l’omnipotente attraction créée par la peinture sur le pavé du parvis du centre Pompidou de mon panneau de douane culturelle que je mets à l’entrée de toutes mes expositions depuis
1971, reproduit cette fois à grande échelle (12 mètres). J’ai pu observer comment les visiteurs s’appropriaient cette peinture comme un lieu de rendez-vous, par des danses, des mimes, des exercices de yoga, des vidéos, multipliant les photos selon tous les angles et tous les éclairages sur les réseaux sociaux, Instagram, Facebook, Twitter, etc. comme si c’était la Tour Eiffel. Une diffusion virale. Et ce succès a conduit la direction du Centre Pompidou à maintenir cette peinture extérieure au-delà de la date de
clôture…