

Extrait : Entretien avec Sophie Duplaix, commissaire de l’exposition au Centre Pompidou
Réf : catalogue exposition au Centre Pompidou (p 18-19)
Sophie Duplaix : …, il y a, à Paris, l’Ecole sociologique interrogative. Quand et comment a-t’elle été créée ?
Hervé Fischer
J’ai trouvé à Paris, boulevard de Charonne, un espace intéressant. Maintenant il y a un bel édifice de quatorze étages de logements, mais à l’époque, en 1976, il y avait une petite entreprise de peinture et ravalement dont le patron n’arrivait plus à joindre les deux bouts. En vendant mon appartement, j’ai pu l’acheter. Je l’ai transformée moi-même : j’alternais entre les cours à l’université et le plâtre, le bois, le zinc pour refaire la toiture. Je suis devenu ouvrier : j’avais un complexe d’intellectuel qui veut être capable d’être un ouvrier. Ce n’était pas très longtemps après Mai 68. L’art sociologique est beaucoup lié au questionnement critique du mouvement situationniste. Moi, je n’ai pas fait la révolution dans la rue mais j’étais complètement fasciné par l’évènement et le slogan de l’imagination au pouvoir : ce sont des base de l’art sociologique. Donc, à ce moment-là, j’ai eu ce local et j’ai proposé à Fred Forest et à Jean-Paul Thénot, avec qui j’avais fondé un collectif d’art sociologique, d’ouvrir dans la cave de ma maison-entrepôt une « Ecole sociologique interrogative ». Une école où on pourrait inviter des artistes, des intellectuels, des musiciens, toutes sortes de gens, à venir nous parler du rapport de leur profession avec la société, et aussi beaucoup d’étrangers. Comme cette maison était grande, c’est devenu une adresse bien connue des usagers du Routard, et je voyais arriver des artistes d’Argentine, d’Europe centrale, d’Australie, en quête d’un lieu où poser gratuitement leur sac à dos et dormir. Un artiste polonais est même resté avec nous pendant un an, puis est revenu avec femme et enfants ! La vie familiale est devenue assez excitante et compliquée en même temps. Il s’est donc passé beaucoup de choses là-bas, et avec Fred Forest et Jean-Paul Thénot nous avons animé cette Ecole sociologique interrogative dans ma cave pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’il y ait dissolution. On a eu de très beaux débats, des performances et des expositions artistiques, des tables rondes avec des artistes étrangers pour critiquer le pouvoir de New York par exemple, qui était très fort à l’époque. C’est devenu un point important de la vie artistique parisienne underground. J’ai voulu qu’on l’appelle « Ecole sociologique interrogative » parce que c’était un lieu où on s’interrogeait sur les rapports art-société. Pour moi, la sociologie, ce n’est pas un catéchisme académique : c’est une pratique de questionnement. Tout le monde a été immédiatement d’accord avec ce nom, qui correspondait vraiment à ce qu’on voulait faire. On a vécu quelque chose de formidable, créé un lieu de discussion, de rencontre, ouvert une fenêtre sur le monde. Beaucoup d’artistes jeunes, aujourd’hui reconnus, y sont venus.






Tweet philosophie, École interrogative en ligne, autant de nouveaux médias philosophiques que le numérique nous permet de développer. Des dispositifs légers, d’usage facile, capables de rejoindre beaucoup de monde quotidiennement dans une pratique d’art actuel.

Pourquoi une ECOLE INTERROGATIVE ?
Dans les années 1970, j’avais cofondé avec le collectif d’art sociologique l’Ecole sociologique interrogative à Paris, dans le sous-sol de ma maison. Aujourd’hui, je change d’idée. Je préfère le concept d’ ECOLE INTERROGATIVE.
Je crois à l’importance d’une orientation plus explicitement philosophique, pour animer un lieu de rencontre et questionnement sur notre rapport au monde, à notre évolution, pour réfléchir sur la théorie de la divergence, sur l’hyperhumanisme, sur la déroute de l’économie imaginaire, sur la mythanalyse, etc. Il est nécessaire de déborder la sociologie et de la mettre en rapport avec les mythes actuels, les démarches scientifiques, l’urgence d’une éthique planétaire, le choc du numérique, etc.
Par rapport à l’art sociologique que je pratiquais dans les années 1970, j’ai opté aussi pour une pratique plus philosophique. Suite à mai 68, nous avons tous eu tendance à délaisser la philosophie et à nous fixer sur les questions sociologiques. Aujourd’hui, nous ressentons le besoin de réélargir nos questionnements.